Rue Cases-Nègres
Rédigée par Marie Horel

Rue Cases-Nègres

De Euzhan Palcy - 1h46 - 1983 (France)
Rue Cases-Nègres
à partir de 10 Ans

Synopsis

Martinique, village d’ouvriers agricoles de Rivière-Salée, août 1930. La vieille M’man Tine élève seule son petit-fils José. Entre réprimandes et bienveillance, son souhait est d’aider le jeune garçon à accéder à une instruction et une bonne éducation, pour avoir un autre destin qu’elle, ouvrière agricole dans les champs de cannes à sucre. Mais cette aimante grand-mère n’est pas le seul guide pour José. Il y a aussi le vieux Médouze dont la transmission de croyances traditionnelles et les récits du passé colonial africain fascinent le garçon, et l’instituteur Monsieur Roc dont le soutien pourrait bien porter José là où ses rêves n’osaient pas le mener.

Rédigée par Marie Horel
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Si le film d’Euzhan Palcy permet d’accéder à l’histoire de la Martinique colonisée des années 30, il atteint, notamment grâce à des personnages archétypaux, la dimension d’un récit d’apprentissage universel.

La dimension très réaliste du film, qui s'apparente presque à un documentaire, constitue un fil-rouge. Le film donne à voir l’organisation hiérarchique et raciste de la culture de la canne à sucre. Le spectateur découvre les différents personnages qui font régner l’ordre dans les champs : économe, commandeur, békés exploitants dominants (le plus souvent des colons blancs) font face aux autochtones coupeurs de canne, et exploités. Le générique de début est constitué d'images d'archives. D’autres scènes et éléments renvoient plus largement à cette même dimension documentaire : jeux des enfants, repas, travaux des champs, danses. Le son occupe une place de choix dans le film et renvoie à l’oralité, aussi constitutive de l’identité collective antillaise car c’est aussi par la voix du jeune José, narrateur du récit, que nous découvrons les habitants et mœurs de la plantation. La langue et les accents antillais, qui ne sont pas toujours traduits par les sous-titres, permettent également une judicieuse immersion sonore dans le monde créole. Le personnage du vieux Médouze s'inscrit dans cette ligne, comme figure de l’ancien. Il transmet à José les récits de son Afrique natale chérie et de la Martinique colonisée, mais aussi les secrets de la nature. Les personnages de Médouze et de la grand-mère, dans les liens qu’ils entretiennent avec le jeune José, les sagesses et les savoirs transmis, portent avec eux la riche thématique de la transmission, nourrie de la question des liens intergénérationnels. « Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle », comme dit le proverbe africain.

M'an Tine, le personnage de la grand-mère, ancrée dans une éducation traditionnelle faite de réprimandes, n’en est pas moins une femme très aimante, prête à tous les sacrifices pour offrir un bel avenir à son cher petit José, orphelin de père et de mère. C’est le premier personnage qui apparaît dans le cadre au tout début du film, il cède néanmoins rapidement la place aux enfants, laissant ainsi le film glisser vers le récit d’apprentissage à la fois individuel et collectif. Si l’été du film voit se dessiner les jeux – mais aussi les bêtises ! – des enfants, la rentrée qui arrive et la rencontre de l’instituteur va ainsi sceller le destin des enfants, car ceux qui sont les plus instruits pourront quitter le village pour gagner la grande ville, Fort-de-France. La scène de leçon de vocabulaire où l’instituteur demande à José de définir la différence entre « caqueter » et « chanter » est magnifique et permet de montrer à quel point la richesse de son vocabulaire permet à la fois d’exprimer son identité et d’éloigner la violence. Car, que ce soit par les jeux ou par l’accès à l’école et à l’instruction, c’est d’apprentissage et de culture que parle le film Rue Cases-Nègres. José lit Topaze, écrit des rédactions empreintes d’une poésie proche d'Aimé Césaire, et sympathise avec une guichetière d’un cinéma qui projette Le Chanteur de Jazz… Les personnages archétypaux de la grand-mère aimante et du jeune orphelin qui accède à la culture donnent au film une dimension universelle, et, en ce sens, le font dialoguer avec de nombreux chefs-d’œuvre du cinéma.

Récompensé à sa sortie en salles, rare film sur les Antilles colonisées, Rue Cases-Nègres est un très beau film à découvrir absolument !

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Surtout connue pour ses films Une saison blanche et sèche et Rue Cases-Nègres, Euzhan Palcy est la première réalisatrice française de la diaspora africaine à être produite par le studio hollywoodien de la MGM (Metro Goldwyn Mayer). Passionnée de cinéma et de littérature dès sa jeunesse, elle constate rapidement que les comédiens noirs interprètent souvent des rôles secondaires, voire ridicules. Suite à ce constat qui la scandalise et après la lecture du roman de Joseph Zobel La Rue Cases-Nègres (publié en 1950) qui devient son livre de chevet, la jeune femme se découvre une ambition, celle de devenir cinéaste et de porter à l’écran la voix des Noirs. Encouragée par son père, Euzhan Palcy s’envole pour Paris où elle étudie les lettres et le théâtre à la Sorbonne puis étudie à l’école Louis-Lumière où elle se spécialise comme directrice de la photographie. Les superbes lumières de nombreuses séquences de Rue Cases-Nègres en gardent la trace…

La rencontre de la réalisatrice avec François Truffaut est déterminante : le cinéaste soutient son grand projet d’adaptation du roman éponyme en offrant ses conseils et partageant ses contacts. A sa sortie, le film émeut la critique et constitue un succès public. Il remporte dix-sept prix internationaux, dont le Lion d’argent spécial pour la meilleure première œuvre à la 40ᶱ Mostra de Venise, le Prix du public du 9ᶱ Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, et le César de la meilleure première œuvre. Darling Légitimus remporte la coupe Volpi de la meilleure actrice pour le rôle de M’man Tine.

Euzhan Palcy a également réalisé une série de trois documentaires autour de la figure d'Aimé Césaire qu’elle considère comme un père spirituel : Aimé Césaire, une voix pour l’histoire. L’ensemble de l’œuvre de la réalisatrice rend hommage aux oubliés de l’Histoire et aux figures d’opprimés. Depuis 2013, Euzhan Palcy est membre du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage.

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Le film Rue Cases-Nègres entretient des liens avec l’oralité, l’ailleurs et l’accès à la culture :

Pour les plus petits :
- Vous pouvez lire et écouter des contes africains en livres-cd : Contes africains et Contes et sagesses d’Afrique, L’Antilope et la panthère et autres contes africains chez Milan, des récits racontés par le merveilleux Souleymane Mbodj.
- Découvrez ce site internet qui valorise l’oralité et la francophonie. 

Pour les plus grands :
- Découvrez la poésie d’Aimé Césaire et des œuvres comme Black boy de Richard Wright ou La Vie en gris et rose de Takeshi Kitano.

Les bonnes raisons de voir le film

  • 1 Pour les beaux personnages de M’man Tine, remarquable par son sourire et sa voix, et de José et son visage bouleversant
  • 2 Parce que Rue Cases-Nègres est une des rares œuvres sur l’histoire de la Martinique colonisée des années 30
  • 3 Parce que ce film nous rappelle que la culture est un rempart contre la violence et un levier de l’émancipation

Pour quel public ?

La langue et l’accent antillais parfois non traduits par des sous-titres pourraient gêner les plus jeunes spectateurs. Mais les visages expressifs des différents personnages, notamment des enfants et, parmi eux, du jeune et bouleversant José, rendront limpide l’intrigue d’un film porté par des thématiques universelles et plus spécifiques. Nous préconisons un accompagnement sur le contexte historique de la colonisation, et conseillons le découverte du film à partir de 10 ans.

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Littérature Orphelin Pauvreté Résistance Récit initiatique Solidarité Film historique
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