ENTRETIENS

Entretien avec Michel Ocelot

Rédigée par Benshi

Michel Ocelot fait partie des cinéastes qui ont contribué à changer le paysage cinématographique pour les enfants. Il a ouvert la porte à une offre un peu alternative, originale, de qualité, et parfaitement adaptée à chaque âge de l'enfance. Des films singuliers comme Benshi les aime tant. Depuis Kirikou (1994), on voit naître sur les écrans plein de belles propositions. Et l'animation française, notamment, s'est depuis affirmée par sa richesse artistique et sa diversité.

Pour Benshi, Michel Ocelot c'est donc beaucoup de grands et beaux moments de cinéma avec les enfants dans les salles obscures, beaucoup de magie, de la musique, des couleurs, des décors d'une richesse incroyable. C'est Kirikou, Azur et Asmar, les princes, les princesses et les dragons.

Michel Ocelot fait partie des « pilliers » de sa sélection. L'intégralité de son oeuvre* est recommandée par Benshi. Alors quel bonheur de découvrir un nouvel opus des contes en silhouettes noires débarquer sur les écrans !

Ivan Starévitch et la princesse changeante est sorti le 28 septembre et à cette occasion, Michel Ocelot était de passage au Studio des Ursulines, pour rencontrer une belle bande de petits cinéphiles chanceux.

Benshi en a profité pour aller le rencontrer et lui poser 2-3 questions... avec beaucoup d'émotions !

 

Morceaux de conversation avec Michel Ocelot :


Il y a quatre histoires, quatre courts métrages, dans Ivan Tsarévitch et la princesse changeante. Avant cela, il y avait déjà eu Princes et Princesses et Les contes de la nuit. Où trouvez-vous toute cette inspiration, toutes ces histoires ?

 

J'ai deux sources d'inspiration : d'abord, ce que je vis, ce que j'aime, ce que je déteste, ce qui m'arrive, ce qui m'est arrivé ou ce que je veux qu'il m'arrive. Pour Kirikou et la sorcière par exemple, c'est ma vie et plus précisément mon enfance en Guinée qui m'a beaucoup inspiré. J'ai passé une belle enfance en Afrique. Je sentais que j'avais comme une sorte de devoir de faire ce film. J'en avais besoin. Ceci étant dit, je me sens bien dans n'importe quel pays et je suis prêt à célébrer des pays où je ne suis jamais allé. Ça me plaît d'aller un peu partout. Ça a une saveur agréable de changer, d'aller ailleurs, et d'avoir plusieurs ailleurs.


Ma deuxième source d'inspiration ce sont les contes, les contes traditionnels, les contes de n'importe où, de n'importe quand, j'en lis des tas. Si le conte est très bon, je n'y touche pas, ce n'est pas la peine, c'est déjà fait. Quelque fois je me dis que ce n'est pas très bon, mais qu'il y a une idée et c'est là où ça m'intéresse. Dans ce cas, je la prends et je jette le reste. Je note les petites choses - ou les grandes choses - qui me plaisent. Je note éventuellement ce qui me déplait complètement. Car ce qui me déplait complètement, ça me donne déjà une idée et je fais l'inverse. C'est une très bonne manière d'arriver à quelque chose.

Quel est votre processus de création ? Toutes les gravures, les fresques, les tableaux, que l'on voit dans chaque prologue sont-ils ceux qui vous ont inspiré pour imaginer les décors et les personnages ?

 

Ce que je montre dans les prologues, c'est vraiment ce que je fais. Je pioche des idées à droite et à gauche et ensuite je me mets au travail. Je me renseigne beaucoup. Ça fait partie de la fabrication du film. Si je traite un pays, je me renseigne beaucoup sur ce pays ; j'essaie de le faire très exact. Je me renseigne sur ce qui se passe, ce qui se dit, ce qui arrive. Je me renseigne aussi sur les décors, les bâtiments, les vêtements. Tout ça a tendance à être juste, sauf quand je fais une fantaisie comme avec La maitresse des monstres. Là c'est une invention totale, plus inspirée de ma vie que d'un conte. Ça se passe où et quand on veut...

C'était une période de ma vie où vraiment tout allait mal. Il n'y avait pas de raison de continuer. Mais plutôt que de me déséspérer, j'ai un pris un crayon et du papier et j'ai écrit tout ce qu'on ne pouvait pas écrire, à quel point ça allait mal. Quand j'ai fini, c'était écrit et d'une certaine manière j'étais au-dessus. Puis j'en ai fait ce conte : si tu regardes tes monstres en face, tu les fais réduire. Des fois tu peux même les écraser... mais pas tout le temps [rire].

 C'est un conte qui n'existait pas mais maintenant il existe...

 

D'où est venue cette idée de fil conducteur ? Et qui sont ces 3 personnages - le garçon, la petite fille et le vieux projectionniste - que l'on retrouve entre chaque court métrage ? Ce monsieur, est-ce un peu vous, le créateur ?

 

PAS DU TOUT !!! Ce n'est pas moi. Moi, je suis le prince. Tous les enfants doivent le savoir : quand on rêve on se donne le meilleur rôle sinon ce n'est pas la peine. Ce vieux monsieur, c'est quelqu'un - comme beaucoup de personnes agées - qui transmet ce qu'il a appris.

Et le petit garçon et la petite fille, c'est toi et moi. Je ne leur donne pas de nom car c'est le nom des spectateurs.

Ces 3 personnages, au départ ce n'est pas quelque chose que j'avais spécialement envie de faire. J'avais envie de raconter des histoires, un point c'est tout. Donc la raison était surtout commerciale, c'était plus facile de vendre ces films en les présentant un peu comme une série, avec un élément réccurent.

Pour cette sortie, on aurait très bien pu les enlever, mais maintenant je n'ai plus envie qu'on le voit sans prologues. C'est le plaisr d'avoir un conteur : on commence par jouer ensemble et à réfléchir ensemble et puis allez, on y va ! Ça me manquerait.

Et aussi, franchement, j'espère donner aux enfants le goût de la création et de l'activité. Que ça excite à faire quelque chose, à inventer et à se retrousser les manches.

 

Pour Ivan Tsarévitch et la princesse changeante, vous avez utilisé une technique un peu différente que pour Princes et Princesses et Les contes de la nuit, qui était vraiment de l'animation image par image, une technique très artisanale. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Comment sont fait les films de ce dernier opus ?

 

Pour Princes et Princesses et Les contes de la nuit, j'ai utilisé une table lumineuse, et des bouts de papier que je filmais image par image. Ensuite, quand on projette toutes ces images à toute vitesse, ça se met à bouger. Pour Ivan, c'est d'une certaine manière la même chose : j'ai apporté mes marionnettes de papier et j'ai montré aux informaticiens ce qu'il fallait faire. Aussi simple ! Tout plat et on n'a pas honte d'être tout plat, parce qu'on joue. Donc on l'a fait dans le même esprit et comme pour les autres mais sur ordinateur.

Pour l'animation elle-même l'ordinateur n'a pas tellement changé ou amélioré les choses. Par contre pour les décors, l'image informatique a tout changé : du temps où j'avais besoin d'un fond lumineux, je ne pouvais y poser qu'une feuille de papier pas trop épaisse. Je ne pouvais dessiner qu'à l'aquarelle parce que la gouache n'est pas transparente. Je ne pouvais pas faire de collage car ils ne sont pas transparents non plus et ainsi de suite... Donc j'étais obligé de faire des choses assez simples. Avec le numérique, on fait les décors à part, on dessine ce qu'on veut sur l'écran : plein de couleurs, des foncés, des clairs, des matières et de choses qui brillent, des choses sombres et des choses éclatantes. Ensuite on met les personnages noirs par dessus et c'est magnifique. Les décors sont plus élaborés que dans les premiers programmes. On est allé plus loin. C'est quelque chose que je n'aurais pas envie de lâcher.

Avec le numérique on peut se relire tout de suite et se corriger. Alors qu'avant on n'avait aucun matériel, on ne savait pas ce qu'on faisait parce que c'était enregistré sur de la pellicule. On trouvait des petites solutions en bout de ficelle. Avec encore moins d'argent et quasiment pas d'instrument ni de technique, chaque personne en faisait deux fois plus que maintenant. Et en plus on s'amusait bien, comme quand on était petit. Donc il faut bien savoir que le plus important, c'est nous, l'humain, pas les outils.

Je reviendrai au papier découpé et bouts de ficelle animés sous la caméra... Mais, évidemment, l'ordinateur ne sera jamais loin. Je continuerai à faire les décors à l'ordinateur pour avoir toutes les couleurs que je veux et je mettrai par-dessus ce qu'on aura fait à la main. Je pense qu'on ira plus vite, moins cher, mieux... et qu'on s'amusera bien. Les deux techniques, numérique et traditionnelle, se mélangent très bien. C'est un de mes projet, et j'inviterais probablement d'autres personnes à diriger un film.

 

Benshi est un site de recommandations de films pour les enfants : y a-t-il un film en particulier que vous aimeriez partager avec eux ? Un film qui vous aurait marqué ou vous aurait inspiré...

 

Je ne suis pas très au courant mais parmi les films récents, je pense que Ma vie de courgette, c'est bien. Mais ce n'est pas pour les tout petits. .

Sinon, le film qui m'a marqué enfant, et qui a peut-être déclenché mon envie de faire de l'animation c'est La révolte des jouets de Hermina Tyrlova, un moyen métrage tchèque que j'ai vu quand j'étais tout petit en Afrique. Je ne sais pas si on a le droit de le dire mais il se trouve sur Internet.... Elle l'a fait au début des années 50 avec très peu de matériel et de vrais jouets. Ils se mettent à bouger, alors que ça ne devrait pas bouger, c'est magique ! Vous vibrez plus avec de vrais jouets comme les vôtres qu'avec une image de synthèse, où tout est désincarné. C'est ce qui m'a amené au cinéma. S'il n'y avait eu que de l'ordinateur, je ne crois pas que j'aurais fait de l'animation. Cette petite magie innocente m'a enchanté. Donc si les enfants veulent connaître mes « origines », c'est ce film.

Chez Disney, je trouve que le meilleur, c'est La belle au bois dormant. Tout est bon dans ce film, c'est un régal. J'aime beaucoup La belle au bois dormant, mais j'ai aussi aimé Cendrillon. C'est vraiment très bon. C'est toujours d'une grande beauté. Les décors sont étonnants. Après ça, ils n'ont plus fait de décors. L'animation est exemplaire, tout est beau.

Les qualités de Disney de la belle époque, c'est aussi toutes les petites idées sympas, il y en a sans arrêt. Le fait que les fées puissent devenir toutes petites. Quand elles ont besoin de prendre le thé, elles font « ding » et la tasse arrive. Dans Pinocchio, que j'aime moins, Jiminy Cricket se couche dans une boite d'allumettes et tire le couvercle comme une couverture.

Quand j'avais 8 ans, j'avais exactement le même goût qu'aujourd'hui. Ça m'enchante ! Ça m'enchante et ça m'enchantait.

 

Pour terminer, pourriez-vous nous dire quelques mots sur votre prochain film ? Un long métrage qui se passerait dans le Paris de la Belle époque...

 

Un peu que je peux !

J'explore tous les lieux fascinants de la planète et cette fois-ci je m'arrête à Paris. Je traite Paris à la Belle Epoque, qui est aussi une époque fascinante, mais on ne réalise pas... La Belle Epoque, ça évoque les froufrous des dames, mais on y retrouve déjà toute l'activité moderne, tous les Arts modernes, toutes les sciences modernes, c'est éblouissant.

L'autre partie du film, c'est la défense des femmes et des filles. Parce qu'il n'y a pas que les femmes qu'on piétine, il y a aussi les filles. Ça commence très tôt et ça commence aussi avant la naissance. J'ai mis une secte dans les sous-sols, qui représente tous les hommes infects. La situation est très grave et on en parle pas assez ; Elle est plus grave que les guerres. Les assassinats quotidien de femmes ce sont des chiffres plus grands que les morts des guerres et quelque fois, celles qui ne meurent pas préfèreraient ne pas rester vivantes. C'est des sujets que je voulais traiter. D'une part, la civilisation française, qui est quelque chose de très bien. Et puis l'autre sujet... il faut en parler, et j'en parle assez franchement.

Pour ce film, je mettrai un âge limite. D'abord je dois le terminer et on verra ensemble à quel âge on le recommande. Je pense que ce sera 7 ans.

 

Merci Michel Ocelot de nous avoir accordé un peu de votre précieux temps, en plein démarrage de tournée pour Ivan Tsarévitch et la princesse changeante !

 

* Filmographie

Kirikou et la sorcière (1994)

Kirikou et les bêtes sauvages (2001)

Kirikou et les hommes et les femmes (2012)

Princes et Princesses (1998)

Les contes de la nuit (2010)

Azur et Asmar (2006)

Ivan Tsarévitch et la princesse changeante (2016)

 

> Saviez-vous qu'il existe un badge « Michel Ocelot » dans la catégorie « Réalisateurs » et un badge « Kirikou » dans la catégorie « série »

Pour débloquer ces deux badges et agrandir votre collection, c'est très simple il suffit d'avoir vu les sept films de Michel Ocelot, présents sur la base de données.

 

 

Rédigée par Benshi