ENTRETIENS

Entretien avec Léo Marchand

Rédigée par Benshi

À l’occasion de la sortie du film Les Voisins de mes voisins sont mes voisins le 2 février, Benshi a eu l’opportunité de s’entretenir avec Léo Marchand, co-scénariste et co-réalisateur de ce film distribué par Jour2fête.


LES VOISINS DE MES VOISINS SONT MES VOISINS

Dans un immeuble, la vie trépidante de voisins et de voisins de voisins dont les chemins se croisent et ne se croisent pas, au fil de situations cocasses et absurdes. Ainsi, un ogre se casse les dents, un randonneur est enfermé avec son chien dans un ascenseur, un magicien rate son tour de la femme coupée en deux et un vieil homme tombe amoureux d’une paire de jambes sans corps.

Les bonnes raisons de voir le film

1 - Une véritable créativité dans la manière d'associer animation et prise de vue réelle
2 - Une bonne dose d'humour
3 - Les excellents acteurs qui prêtent leur voix aux personnages 

 


Benshi : Les Voisins de mes voisins sont mes voisins est ton premier long métrage d’animation. Peux-tu te présenter et nous parler de ton rapport au cinéma ?
 

Léo Marchand : Je vais parler au nom de deux personnes puisque nous sommes deux à scénariser et réaliser tous nos films : Anne-Laure Daffis et moi-même. Nous ne venons pas d'une école de cinéma, mais d'une faculté d'arts plastiques donc nous avons commencé à faire du cinéma assez tardivement, vers 25 ans. Avant, nous faisions principalement de la peinture, et nous sommes arrivés au cinéma parce que le principe des galeries ne nous intéressait pas. Le cinéma c'est un peu la rencontre de tout c'est à dire l'écriture, l'image, le son, les questionnements. Je crois que je suis aussi venu au cinéma parce que mon père a tenu un cinéma dans Paris, le Gaité Montparnasse. Ce cinéma n'existe plus d'ailleurs, c'est devenu un cinéma porno maintenant (rires). Donc le cinéma a toujours été présent dans ma vie. Quand j’étais petit, j'allais de salles en salles au hasard, j’entrais et je sortais en plein milieu d’un film. J'assistais à des choses très différentes et je pense que ça a marqué mon cinéma, de changer de salles, de voir différents univers, entrecoupés, fractionnés. 

Léo Marchand et Anne-Laure Daffis

Votre duo a déjà plusieurs films à son actif ! Peux-tu nous parler de quelques-uns de vos précédents projets ? 

Notre premier court d'animation s'intitulait On a beau être bêtes on a faim quand même (2001). À l’époque nous ne savions pas faire d'animation mais nous avions eu des financements. Cela a donc été notre premier pied à l’étrier, notre premier "stage". Ensuite nous avons réalisé Les Cowboys n'ont pas peur de mourir (2009), un mélange d’animation et d’images archives. Nous avions pris des extraits de western et redessiné des bouts de film afin de créer une nouvelle histoire. 

La fiction est aussi un autre versant de notre cinéma. Notre film Fatigués d'être beaux (2012) est un western dont le scénario original a été écrit par Anne-Laure et moi-même. Le court métrage Il n'y a pas que des histoires de cucu (2017) est aussi de la fiction mais il mélange prise de vue réelle, animation et images d’archives.

Ce qui fait l’identité de Les Voisins de mes voisins sont mes voisins, c’est justement ce mélange de nombreuses techniques d’animation, d’images d’archives, de prise de vue réelle. Quelle était votre volonté ?

Les changements graphiques, techniques ou de décors du film sont très importants pour nous, et pour plusieurs raisons. Ce n’est pas par pur plaisir graphique ou juste pour s'amuser mais parce que nous souhaitons constamment surprendre. Nous avons fait la même chose avec le scénario, nous voulions que le spectateur ne sache pas par où il est entré et comment il va en sortir. Dans de nombreux films d'animation, le graphisme est installé pour toute la durée du film. C'est souvent magnifique mais on ne bascule que par la narration, et non par l'image. Notre idée c'est donc de surprendre à chaque instant, par l'histoire mais aussi par les différents graphismes. Ces choix graphiques nous permettent de mettre en avant d’autres récits, même secondaires. Des enfants peuvent ne pas les voir parce qu’ils suivent l’intrigue principale, mais selon nous, les techniques d'animation utilisées qui créent des décors permettent de mettre en lumière un personnage, une histoire particulière, dans ce qui est mis en scène.
Par exemple, l’intérieur de Monsieur Demy (en point de croix, ndlr) est bourré de références à Jacques Demy. L’utilisation de l'écran d'épingle dans la cave est une référence à La Belle et La Bête. Certaines techniques utilisées permettent aussi de traduire notre regard sur le monde, comme la 3D dans le supermarché. 


Il est vrai que nous nous sommes vraiment demandé : « est-ce que les gens vont suivre ? ». Mais nous avons toujours travaillé en collant des choses qui, a priori, ne vont pas ensemble. On veut que ce soit un plaisir pour les gens, qu’ils ressentent que c'est un cinéma libre et affranchi. Nous souhaitons juste emmener le spectateur là où il ne s'attend pas, et que le film ressemble à une chasse au trésor ou le public créer des liens entre les images qu'il voit. 

 

 

Pour rebondir sur les différentes lectures possibles du film, souhaitiez-vous à l’origine faire un film pour adultes ou pour le jeune public ? 

Nous avons pensé ce film comme on faisait des films autrefois. À l'époque, les films grand public c’étaient des films de Jacques Tati comme Mon Oncle ou Amarcord de Roberto Fellini. Ce sont des comédies avec une vraie exigence de cinéma. Donc nous ne ciblons pas un public en particulier, et nous ne l'avons jamais fait pour aucun de nos films. Notre démarche lorsque nous écrivons le film, c'est de faire en sorte que les enfants et les adultes ne voient pas le même film. Ce que je trouve un peu triste dans le cinéma actuel c'est que l’on considère que l'enfant doit tout comprendre. Comme l’enfant va rarement au cinéma seul, les parents sont donc confrontés à des films qu’ils ont parfois peu de plaisir à voir. Nous souhaitons donc créer des films qui permettent aux parents et aux enfants de ne pas voir le même film, et d’en parler après. Cela créer forcément des discussions intéressantes. 

Je pense aussi qu'il ne faut pas craindre de montrer certaines choses aux enfants. Depuis septembre nous avons fait plusieurs projections, et nous nous étions juste interrogés sur la durée du film pour les enfants, pas sur son contenu. Ils suivent l'histoire sans problème, ils interagissent à la fin du film, ils sont plein de curiosité !

Quelles ont été vos sources d’inspiration pour les différents personnages ? Des connaissances, des références cinématographiques ou autres ?

Je ne connais pas tant de monde (rires). Nous tirons souvent notre inspiration de références cinématographiques, et surtout dans de la prise de vue réelle. En l'occurrence le personnage de Popolo est inspiré de Roberto Benigni dans Down By Law (de Jim Jarmusch, ndlr). Popolo, c'est aussi un Charlie Chaplin des temps plus modernes, un personnage en décalage et toujours positif, qui parle tout le temps. Nous avons aussi choisi des voix en fonction des références que nous avions. Par exemple, pour Monsieur Demy, nous voulions la voix de Michel Serrault, qui est décédé. C’est donc la voix d’un imitateur de Michel Serrault ! Nous souhaitions aussi travailler avec Arielle Dombasle (qui double le personnage d'Isabelle, ndlr) parcequ'elle évoque un certain cinéma et des réalisateurs que l'on aime, comme Eric Rohmer. D'ailleurs, pour les plus connaisseurs, nous lui avons fait redire un dialogue à l'identique que dans L'Arbre, Le Maire et le Médiathèque de Rohmer, dans lequel elle avait joué jeune.


Quel est le processus de fabrication d’un film aussi riche que Les Voisins de mes Voisins sont mes voisins ?

Il n'y a pas de règle, mais avec Anne-Laure, nous sommes présents à chaque étape de fabrication du film. Nous n'avons pas de monteur image c'est vrai, ni de storyboarder, mais nous avons un monteur son avec qui nous avions déjà travaillé sur de précédents projets, et même parfois sans image pour trouver le rythme du film ! Tous les dessins du film, soit 40 000, passent d'abord par l'étape « brouillons », supervisée par Anne-Laure. Elle dessine ensuite tous les dessins. C'est donc le travail d'une seule et unique personne. Nous avons aussi la particularité de ne faire appel à aucun décorateur. J’ai donc travaillé pendant deux ans à la création des décors, en parallèle de tous les tests que nous faisions. Dans un film d'animation comme celui-là, rien n'est laissé au hasard. Nous avons sans cesse testé, recommencé, afiné, afin d'arriver à ce rendu très précis qui est exactement ce que nous voulions.


Vous avez fait appel à de nombreux comédiens comme Arielle Dombasle ou François Morel pour doubler les personnages. Comment se déroule cette étape dans la production du film ?

Nous avons commencé par faire un animatic, c'est à dire mettre le story-board du film dans une table de montage et enregistrer nos propres voix dessus. Cela nous permet de vérifier les timings et d’avoir une idée de ce que cela va donner. En général, nous réécrivons toujours un peu le film après cette étape. Ensuite on va à l'enregistrement des voix définitives. Pour Les Voisins de mes voisins sont mes voisins, c'était au bout d'un an environ. Nous enregistrons chaque comédien séparément, afin de prendre le temps de bien travailler avec lui. Si ça ne fonctionne pas comme on le souhaite, s’il n’y a pas de « rencontre » entre le comédien et le personnage, (et nous !) et bien nous choisissons un autre comédien. Pour Picasso par exemple, nous avions commencé par enregistrer Philippe Katherine mais ça ne collait pas à ce que nous souhaitions, nous avons donc fait appel à Olivier Saladin.


À l’origine du film, il y a deux courts métrages que vous aviez précédemment réalisés avec Anne-Laure Daffis, La Vie sans truc (2013) et La Saint Festin (2007). Pourquoi avoir assemblé ces deux courts métrages pour faire un long ?

J'aime bien dire qu'il faut être un peu malin et rusé pour faire du cinéma. Nous voulions vraiment faire un long métrage, et repartir de deux courts métrages que nous avions déjà réalisés permettait de réduire les coûts, et d'avoir moins d'interlocuteurs. Nous souhaitons aller plus loin avec ce que nous avions déjà fait. Nos films ont été redécoupés et nous avons réécrit autour, afin de proposer autre chose, avec d'autres personnages. Il a aussi fallu réenregistrer des voix, retravailler des décors, en se basant sur des éléments qui dataient d’une quinzaine d'années. C'était un travail très intéressant !



Il y a dans le film une scène assez particulière avec Lady Diana. Sans trop en dire pour ceux qui n’aurait pas vu le film, peux-tu nous raconter d’où vient cette idée de l’intégrer au récit, surtout d’une manière aussi inattendue ?

Quand on écrit, on ne sait pas forcément d'où vient une idée !

Je me rappelle cependant que nous cherchions des idées pour le nouvel emploi de Popolo. À l'origine on voulait qu'il soit l’aide-soignant de Michael Jackson. On trouvait ça drôle mais finalement assez limité par rapport à ce que nous pouvions en faire dans le film. L'idée du « chauffeur de Lady Di » elle, était cohérente avec l'ensemble : c'est une princesse, on reste dans le registre du conte. Il y a aussi cette notion de « double film » : pour l'enfant qui ne connaît pas Lady Di, c'est juste une personne lambda alors que pour l'adulte qui connait l’histoire, la référence n’est pas la même. On voulait aussi être cohérent avec l'Histoire puisqu'il y aurait des théories qui mentionnent une Fiat Uno blanche qui serait bien arrivée à contresens sous le tunnel de l’Alma, on crée un lien avec le réel. Nous voulons que chaque choix ait un sens.

Au début nous avions rencontré un distributeur qui nous a dit « en Angleterre ça ne va pas le faire Lady Di, les gros mots il faut les supprimer parce qu’en Allemagne ça ne va pas aller » etc. Une chaîne de télévision nous a demandé de réécrire aussi. Et là, franchement, soit on fait notre film, soit on ne le fait pas. Autant continuer à faire des courts métrages pour lesquels on est financés et libres. C'est pour cela que nous gardons la main jusqu'au bout, comme ça le film est celui que nous avons envie de faire et pas un autre film. C'est pour ça que Lady Di est restée dans le film ! Dans un cheminement classique elle n'y serait surement plus. 


Est-ce que tu peux nous parler de vos projets à venir ?

Oui, nous sommes en train d'écrire une adaptation des Fleurs Bleues de Raymond Queneau, qui sera en prise de vue réelle. Nous passons de l’animation à la prise de vue réelle en fonction des projets, de nos envies, de la cohérence avec le projet. Et comme nous n'aimons pas les gros tournages, nous avons mis en place un dispositif de tournage un peu particulier qui nous permet de garder la main sur le film !

 

 

 

 

 

Rédigée par Benshi