ENTRETIENS

Vanille : entretien avec Guillaume Lorin

Rédigée par Benshi

À l'occasion de la sortie le 2 février dernier de Vanille, nous avons l'opportunité de rencontrer son réalisateur, Guillaume Lorin !

Peux-tu nous parler de ton parcours et nous présenter Vanille, ton prochain film ?

Je m’appelle Guillaume Lorin, je suis originaire de la Guadeloupe, où j’ai grandi. Après quelques études dans le cinéma d’animation en tant que technicien et quelques expériences dans le milieu de l’audiovisuel à Paris, j’ai repris des études à l’école de La Poudrière. Je m’y suis formé à la réalisation de films d’animation. Suite à quoi j'ai fait des petits boulots sur pleins de projets différents : des séries, des courts métrages, des longs métrages, et en 2016, je me suis lancé dans la réalisation de mon premier film, Vanille. Je suis très heureux de le présenter au cinéma, c’est trop cool !

Vanille, c’est l’histoire d’une petite guadeloupéenne métisse, qui a grandi à Paris. Pour ses 9 ans, elle est invitée par sa tante à passer les vacances avec elle en Guadeloupe. Mais elle n’a pas du tout envie d'y aller… Cette petite fille a aussi un souci avec ses cheveux, qu’elle n’accepte pas et qu’elle a beaucoup de mal à coiffer. Mais en arrivant en Guadeloupe et en rencontrant sa tante et d’autres personnages, elle va petit à petit se réconcilier avec cette part d'elle-même. Le film Vanille est avant tout une histoire d'amour de soi et de rencontres. 

 

Peux-tu nous parler de ta résidence à La Poudrière ?

J’ai étudié à La Poudrière pendant deux ans. Nous faisions beaucoup de travaux d’écriture mais le film Vanille n’est pas né dans l'école. La Poudrière m’a permis de développer mon univers et de réaliser plusieurs films, ce qui m’a donné confiance pour réaliser Vanille par la suite. 

Pour ce film, tu as mélangé de la 2D et de la prise de vue réelle. Pourquoi ? 

J'ai mélangé les techniques car j'aime beaucoup le mélange des genres. Le film parle de métissage, il y avait donc aussi du sens à mélanger des images assez différentes. Je voulais que le spectateur, comme Vanille, ressente un dépaysement à l’arrivée en Guadeloupe. Avant son arrivée, toute sa vie à Paris est en 2D. Je trouvais ça fort de plonger une enfant dans un univers complètement différent d’elle. Nous avons aussi des dialogues en créole, volontairement non sous-titrés. Vanille ne les comprend pas, et le spectateur non plus, cela participe aussi au dépaysement.

Concernant la prise de vue réelle, je voulais aussi respecter une tradition orale aux Antilles : quand ils racontent des contes aux enfants, les adultes font toujours croire que les histoires se sont passées dans des lieux réels, que les enfants connaissent. Le conteur dira par exemple : « tu vois l'église à côté de là où tu habites ? Il y a un arbre, au pied de cet arbre il y a une grosse roche et sous la roche se trouve la clé de la maison du diable ». L’enfant ira donc voir ce qu'il y a sous la roche et si la clé n’est pas là, on sait que le diable est sorti, et alors l'imaginaire de l’enfant s’emballe. J’adorais ça gamin, me retrouver à l'endroit où il s'est passé quelque chose incroyable.

Je voulais retrouver cette sensation dans le film, et en mélangeant les techniques et en montrant les vrais décors où se déroule l'histoire, j’ai réussi à projeter mon imaginaire dans un décor réel et ça c'est super cool. Ce qui est fou, c'est que des enfants d'amis m'ont envoyé des photos d’eux sur les lieux du décor du film après l’avoir vu. La prise de vue permet d'ancrer le récit dans le réel, et cela permet aussi aux enfants de s’imaginer les histoires qu’ils vivraient dans ces lieux là, j’adore ça. 

 

Comment as-tu développé cette histoire et quelles sont tes sources d’inspiration ? 

Je me suis inspirée d’une histoire que ma mère me racontait petit pour nous faire peur à mes frères et sœurs et moi. Je voulais aussi raconter une histoire contemporaine qui se déroule aux Antilles puisque c’est plutôt rare pour les films d’animation, et j’avais envie d’en voir, étant moi-même antillais.
En grandissant, j’ai aussi constaté que toutes les femmes autour de moi n’aimaient pas leurs cheveux, elles les lissaient, les défrayaient, les abîmaient et parfois les brûlaient. Je ne comprenais pas pourquoi elles étaient prêtes à faire tout ça, et puis j'ai compris par la suite le rôle des diktats de la mode et des canons de beauté. J’ai trouvé ça dommage, je les trouvais tellement belles. J’ai eu envie de faire un film qui puisse aider tout le monde à s’accepter. Je n’ai aucun problème avec les gens qui se lissent les cheveux, ils font ce qu'ils veulent, du moment qu’ils s’acceptent. Si cela vient d’un mal-être ça me pose un problème.
Je tenais à apporter ma pierre à l'édifice, et d’une pierre deux coups, parler de ma culture et de l'acceptation de soi.

      

 

Comment avez-vous travaillé ensemble avec vos co-scénaristes ?

J’avais déjà pas mal écrit et j’avais une masse un peu indigeste. Et puis je me suis dit que j’avais envie de travailler avec une amie, Aurore Auguste, qui est une femme, antillaise, travaillant dans le cinéma, et avec un très bon regard sur les films en général puisqu’elle a monté sa boite de production. Il me fallait un équivalent féminin qui m'éviterait de tomber dans des clichés. Aurore est arrivée assez tôt sur le projet et lorsque nous avons reçu des subventions, nous avons décidé de contacter Antoine Lanciaux (L’Hiver de Léon), un scénariste confirmé que je connaissais déjà grâce à la Poudrière. J’aime beaucoup ses films pour la douceur, la profondeur et l’intelligence des thèmes abordés.
Nous avons vraiment commencé le travail d’écriture à trois. J'ai gardé un peu le ton que je voulais drôle et les idées un peu fofolles, Aurore s’occupait surtout des dialogues et des relations entre les personnages : on lui doit beaucoup des dialogues un peu pêchus de la petite Vanille ! Antoine a amené le liant, la structure de l’histoire, et une belle profondeur. À nous trois, nous avons donc créé une bonne base pour le scénario, qui a été validé. Ensuite, Antoine m’a accompagné en tant qu’assistant réalisateur sur le film tandis qu’Aurore donnait régulièrement ses retours et était présente lors de l’enregistrement des voix. Ce n’est pas le schéma habituel des scénaristes qui finissent un scénario et quittent le film, ils ont été présents tout au long de la fabrication avec des retours et des conseils.

Les personnages du film sont-ils inspirés de personnes que tu connais ?

Les personnages du film sont inspirés de personnes que je connais et que j’aime énormément, cela me tenait à cœur de les représenter, avec le plus de respect et d’authenticité possible. Avec Aurore Auguste, nous avons vraiment insufflé tous les membres de notre famille dans ce film (rires). On voulait montrer la Guadeloupe comme on la connaît, et c’était important pour nous qu’il y ait une authenticité, une réelle rencontre. Beaucoup des personnages féminins s'inspirent de ma mère, ma sœur et mes tantes, et les personnages masculins plutôt de mon frère. 
Vanille, c’est le caractère d’Aurore, sa force de vie. Pour Oba, j’ai inventé une créature pour le film que nous avons étayée avec Aurore et Antoine. Oba représente l’esprit même des croyances de la nature et la puissance magique du vivant que nous avons tous en nous. On a matérialisé tout ça dans un petit garçon élastique !

   

 

Pourquoi le prénom Vanille ? C’est un prénom répandu aux Antilles ?

Vanille, c’est peu répandu mais quand j’étais petit je jouais avec des jumelles, Vanille et Cannelle. Elles m’ont profondément marqué. J’hésitais beaucoup entre les deux prénoms et mon père a eu un chien qui s’appelait Cannelle, donc le choix était fait ! J’ai gardé Vanille et je voulais rendre hommage à ces deux jumelles qui ont eu une vie difficile.

Comment s’est passé le doublage ? Comment as-tu choisi les interprètes ?

J’ai une chance incroyable parce que j'ai un copain réalisateur, Gabriel Harel, qui a repéré au début du projet une gamine qui ressemblait beaucoup au personnage de Vanille. Une petite fille métisse guadeloupéenne avec un sacré bagou et qui en plus habitait à Paris. Elle avait globalement le même parcours que Vanille. Ma seule inquiétude, c’était que le temps que nous ayons les financements, que nous développions le film et que nous arrivions à la phase de doublage, cette petite fille ait trop grandi. Quand je l’ai revue, elle avait effectivement grandi mais elle avait toujours sa voix et sa joie d’enfant, avec un côté un peu ado et une répartie qui correspondait parfaitement au personnage de Vanille.

Pour les adultes, tout a commencé quand j'ai repéré Tricia Evy, qui joue le rôle de tatie Frédérique. Tricia est chanteuse, je l’ai vue en concert et je lui ai proposé de faire la voix de Tatie Frederique. Elle a tout de suite accepté ! Grâce à elle, nous avons trouvé plein d'autres voix pour les personnages adultes : Loulouze, la gérante du restaurant et Jocelyne Béroard qui est la chanteuse du groupe Kassav, un groupe mythique qui a fait connaître la musique antillaise dans le monde. Toujours grâce à Tricia, nous avons rencontré Hippomene Leova qui fait la voix de Papi Sarbacane, qui est aussi un chanteur assez connu.

 
Cela a créé un casting de musiciens et chanteurs qui a amené le film vers une musicalité qui n’était pas présente au début. Ces interprètes étant tous antillais, nous avons pu utiliser le créole de temps en temps dans les dialogues. C’était hyper important parce que Vanille voyageait pour la première fois sur l’île et qu’elle ne parlait pas un mot de créole. On voulait vraiment mettre le spectateur à la place de Vanille, donc il ne comprend pas tout non plus !

As-tu doublé un personnage dans Vanille ?

Pour les premières maquettes du film (l’animatic) et avant le doublage officiel, j'ai doublé tout le monde et je me suis pas mal amusé ! Fianalement, je prête ma voix au capitaine de l'avion qui annonce l'atterrissage en Guadeloupe.

         

Tu viens de Guadeloupe et habites en France, comment s’est passée la première là-bas ? Pas trop stressé ?

Alors oui, très stressé ! Notamment au sujet de la légende du soukounian, qui n’est pas tout à fait fidèle à la véritable légende : ce n'est pas un oiseau qui mange les cheveux des femmes, mais une femme qui se transforme en espèce de de lumière et qui aspire l'énergie vitale de ses victimes. C’est une sorte de vampire local ! Cette légende était trop effrayante pour France Télévision, qui m’a demandé de l'adapter au jeune public. J’ai donc proposé que le soukounian aspire les cheveux des femmes, qui représentent en fait leur force et leur vitalité, comme Samson qui, quand on lui coupe les cheveux, n’a plus de force. 
J’ai pioché dans un autre imaginaire que nous avons lié à celui de la Guadeloupe. La majorité des Guadeloupéens ont vraiment compris pourquoi on a fait ça, et ils ont trouvé la musique, les décors, et l’histoire super. Le film a donc été très joliment accueilli !

Quels sont les films qui ont marqué ton enfance ?

Je dirais quasiment toute la filmographie de Don Bluth qui a réalisé Le Petit Dinosaure et la vallée des merveilles et Fievel et le nouveau monde. Un peu de poésie fantastique et de grands sujets parfois difficiles, ces films-là sont vraiment incroyables. J’ai aussi été marqué par des Disney, mais surtout par les chansons. Je pense que les musiques dans Vanille, je les dois beaucoup à Disney (rires) ! 

Est-ce que tu travailles sur d’autres projets ?

Absolument, je travaille sur le prochain long métrage de Cartoon Saloon (le studio de Tomm Moore, réalisateur du Chant de la Mer et Le Peuple Loup, ndlr) en tant que storyartist !… C'est un métier que je découvre, et c’est un mélange entre le métier de storyboarder et de scénariste. Je cherche des solutions scénaristiques avec le dessin, en proposant des illustrations ou de la mise en scène qui peut nourrir les scénaristes. C’est une sorte de brainstorming avec le dessin. 
À côté de ce projet, j'écris aussi un jeu vidéo qui base son concept sur le mouvement des marées, cela s'appellera Marée Basse. À l’origine, c’était un film mais le projet était vraiment trop dense, c’est par la suite devenu un jeu vidéo. C’est un projet très intéressant et très différent de la réalisation pour l’animation. Je dois penser au gameplay, à toutes les possibilités du jeu, aux scénarios possibles...

Cuisinez la superbe recette du gâteau au tapioca de Vanille !

Rédigée par Benshi