Dans une grande maison bourgeoise du Madrid des années 1970, la petite Ana âgée de dix ans à peine passe l’été avec ses deux autres sœurs, Irene, l’aînée, et Maïte, la plus jeune ainsi que sa grand-mère paralysée et mutique. Ana est alors élevée par sa tante maternelle Paulina avec laquelle elle ne s’entend pas, suite au décès de son père Anselmo, militaire de carrière. Déjà affectée par la mort de sa mère qu’elle adorait, disparue quelques temps auparavant, Ana se réfugie dans ses rêves et ses souvenirs.
Traversé par la thématique du deuil, le film Cria Cuervos rend hommage à l'enfance et la force subversive de l'imaginaire de ses jeux.
La mort, la maladie et la vieillesse sont au centre du film. Le film s’ouvre sur la mort du père qui suit celle de la mère, décédée d’une mystérieuse maladie. Les enfants élevés par leur tante vivent aussi avec leur grand-mère paralysée. Mais si le deuil est omniprésent, la mort, perçue par une petite fille, prend l’aspect d’une disparition dont on peut jouer. On peut penser à la scène où Ana, par superstition, nettoie le verre trouvé sur la table de chevet du père disparu pour aller ensuite donner à manger à Roni, son cochon d’Inde. Le jeu de cache-cache où on s’amuse à faire mourir ceux dont on a trouvé la cachette ou encore le bicarbonate de soude dont une seule cuillère tuerait un éléphant font de la mort un jeu. Quand Ana veut s’échapper du présent, elle ferme les yeux et rêve qu’elle s’envole ou fait apparaître sa mère. Ces moments sont des parenthèses de rêve teintées de fantastique.
La force du film est aussi d’atténuer la tristesse des personnages d’Ana et de sa mère par la douceur des voix (celle qui raconte des histoires quand on ne dort pas, celle qui console quand on a peur), mais aussi par la partition musicale. La musique jouée au piano par la mère d’Ana, les chansons espagnoles Ay ! Maricruz et Porque te vas sont ainsi des airs récurrents dans le film.
Le film revêt une dimension métaphorique et symbolique. La mère et les enfants incarnent la liberté face à l’Espagne franquiste et bourgeoise enfermée dans des codes rigides, ici représentée par la tante et le père des petites. Mais on pourrait aussi voir le film comme un conte avec des personnages-archétypes : la tante sorcière, le méchant père qui abandonne sa famille, la petite fille trop curieuse piégée dans une grande maison.
Enfin, le film joue avec la forme documentaire avec plusieurs procédés qui créent un jeu avec le réel : les photos de famille, les images d’archive ou bien encore les regards caméra. On peut penser aux séquences où Ana regarde des photos avec sa grand-mère. Avec ces images et les regards caméra - celui d’Ana petite fille ou Ana devenue adulte, narratrice du film -, le spectateur est interpelé. A cet effet de réel s’ajoute la superposition de scènes vécues dans le passé et rejouées dans le présent par Ana et ses sœurs : on se déguise pour se rappeler du passé ou le réécrire ? Les choix de montage qui font s’entremêler souvenirs, rêves et présent donnent une force poétique et politique à l’imaginaire de l’enfance que rien ne peut détruire.
Cría Cuervos, chef-d’œuvre du cinéma, est à voir absolument.
Lire la suite MasquerLe titre du film Cría Cuervos s’inspire de manière ironique d’un proverbe espagnol « Cría Cuervos y te sacaran los ojos » qui signifie « Elève des corbeaux et ils t’arracheront les yeux », utilisé pour exprimer l’ingratitude des enfants envers les parents qui les élèvent. Le titre renvoie au point de vue de Paulina, la tante « sorcière » selon les mots de la bonne Rosa dans le film. Le titre fonctionne d'ailleurs presque comme une anagramme du réalisateur, Carlos Saura.
Les deux rôles-titres sont interprétés par Ana Torrent qui joue Ana enfant, et Géraldine Chaplin qui incarne à la fois Ana adulte et la mère d’Ana, jeu de doubles à l’écran qui participe de la complexité du film. Carlos Saura a déclaré à de nombreuses reprises avoir écrit le scénario en pensant à Ana Torrent, alors âgée de 7 ans avec qui il a déjà tourné L’Esprit de la ruche en 1973. La jeune actrice devient d’ailleurs l’une des icônes du cinéma espagnol de l’après-franquisme.
« Porque te vas » (« Parce que tu pars ») est une chanson espagnole composée en 1974 par José Luis Perales et interprétée par la jeune chanteuse Jeanette. Le titre ne connaît d’abord qu’un succès discret avant de devenir un hit international en 1976 grâce au film de Carlos Saura. Distribué par Polydor, le single est le tube de l’été 1976 en France.
Retrouvez ici une autre chanson espagnole du film, Ay ! Maricruz, interprétée par Imperio Argentina.
Le film Cría Cuervos a obtenu plusieurs prestigieuses récompenses comme le Grand prix du jury au Festival de Cannes en 1976, le César du meilleur film étranger en 1977, et le Golden Globe du meilleur film étranger en 1978.
Lire la suite MasquerLe film Cria Cuervos fait partie des dispositifs scolaires d’Education à l’image. Découvrez ici des liens vers des dossiers pédagogiques cinéma :
http://www.transmettrelecinema.com/film/cria-cuervos-regards-dune-enfance/#synopsis
https://www2.ac-lyon.fr/enseigne/espagnol/IMG/pdf/Cria_Cuervos.pdf
http://my.clermont-filmfest.com/03_pole_regional/11_medias/778_criacuervos.pdf
https://www.cineclubdecaen.com/realisat/saura/criacuervos.htm
Parce que le film est empreint d’une grande mélancolie et qu’il aborde la thématique du deuil, mais aussi parce que les choix de montage rendent le dialogue entre des moments passés et présents - déjà entremêlés - complexe, nous conseillons le film aux plus âgés des jeunes spectateurs, à partir de 11 ans.