L'Enfant sauvage
Rédigée par Agnès Dupuy

L'Enfant sauvage

De François Truffaut - 1h23 - 1970 (France)
L'Enfant sauvage
à partir de 9 Ans

Synopsis

1798. Entre ombres et feuillages, le soleil perce la silhouette d’un petit d’homme nu, agile, vigoureux et sauvage. Que fait-il là ? Comment survit-il dans cette forêt aussi belle qu’hostile ? Pas de mot pour cet enfant, pas de tendresse non plus. Les paysans capturent ce drôle d’animal qui n’a que morsures ou cris pour se défendre et qui serait devenu bête de foire sans l’intervention du Docteur Itard, éminent spécialiste des sourds et muets se passionnant d’emblée pour son cas. Avec sa gouvernante, ils vont le recueillir et lui apprendre petit à petit des rudiments d’humanité : marcher, s’habiller, manger… parler ? Chaque pas est le premier et chaque découverte fragile entre ce père de hasard cachant son affection derrière son obsession scientifique et ce presque fils dont l’intelligence rebelle refuse d’abandonner son lien charnel à la nature. Arriveront-ils vraiment à se rencontrer ?

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Rédigée par Agnès Dupuy
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Par quel mystère ce film arrive-t-il à créer une tension et un suspense aussi forts, entre rires et larmes, à partir d’événements aussi ténus que de boire du lait, éternuer, ouvrir une serrure, mettre un pied devant l’autre, souffler sur une bougie ou regarder par la fenêtre ?

La peur, la ruse, le sentiment d’injustice ou de liberté : François Truffaut nous fait revivre ces sensations comme si elles étaient inédites, avec une émotion aussi forte que lorsqu’on les découvre enfant. La très grande beauté plastique du film contribue à ce sentiment, dans un noir et blanc qui rend compte des éléments avec force et sensualité. Feuillages, soleil, fumée, pluie, vitres, craie, encre, gouttes, bois des meubles, herbe, champs, lune, et même le vent qui passe à travers les fenêtres : la lumière merveilleusement travaillée par le chef opérateur Nestor Almendros se pose sur chaque élément avec élégance, tout en gardant une tenue et une apparente austérité qui ne cèdent en rien à des effets flagorneurs. Même sobriété dans la façon d’enchaîner les événements, subtilement ponctuée par la voix du docteur, qui tantôt précède l’action, tantôt la suit ou la redouble, avec une petite flûte vivaldienne qui offre en contrepoint une ouverture dans la relation avec l’enfant mutique.

L’assomption douloureuse de la parole pour Victor face à l’amour immodéré de l’écrit, du récit et de la voix pour Itard rendent toute la beauté du croisement de ces deux-là, aux antipodes l’un de l’autre. La tendresse, qui se cogne aux obsédantes expériences pédagogiques du scientifique d’une part, et aux carences constitutives de l’enfant abandonné d’autre part, semble ainsi être le pivot autour de quoi tournent en aveugle ce père et ce fils spirituels. Cette tendresse toujours contenue est un puissant levier qui fait vibrer d’autant plus fort tous les moments de rencontre, les progrès, les déceptions, les intrigues et les expériences. Un enfant naît sous nos yeux. Il garde cependant un mystère profond que le film a l’intelligence de ne pas résoudre, en ne le rangeant ni du côté du « sauvageon » à qui une patine d’éducation rendrait par miracle toutes ses vertus de petit humain ni du côté du « bon sauvage » qui aspirerait à un retour innocent à l’état de nature.

Le mystère d’un enfant qui doit composer avec ce que le monde lui présente comme avenir.

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« Est-ce que l'amour fait mal ? » demande Catherine Deneuve à Jean-Paul Belmondo à la fin de La Sirène du Mississipi, le film de François Truffaut qui précède tout juste L’Enfant sauvage.

Ce couple qui part vers l'inconnu d’une forêt enneigée semble passer le relai dans le film suivant au personnage de Victor qui, sortant contre son gré de cette forêt matricielle et déshumanisante, rencontrera un homme restant affectivement opaque. Cette opacité est en réalité la plus sincère leçon que le docteur puisse lui transmettre, comme si l’avenir qu’il lui invente n’était qu’à ce prix.

Cinéaste de la pudeur et de la passion à la fois, Truffaut décline dans L’Enfant sauvage une nouvelle variante des films d’amour qui jalonnent sa filmographie, sans créer d’histoire sentimentale, mais avec cette volonté passionnée d’insuffler son propre souffle à un enfant considéré comme éteint pour les autres.

Film d’apprentissage également, son cousinage avec le Antoine Doinel des 400 coups est d’emblée posé par la dédicace à Jean-Pierre Léaud en amont du film, dans un pont où le manque de tendresse n’épargne pas les enfants.

Pour le choix du jeune garçon qui allait interpréter le rôle principal, François Truffaut pense au départ à deux sortes d'enfants : tout d'abord à des enfants extrêmement éduqués, à des fils de danseurs célèbres ou à des enfants qui suivent des cours de danse à l'Opéra :

« Ce qui m'avait amené à cette idée, c'étaient des photos de Noureïev. Je pense souvent à Noureïev comme à quelqu'un qui serait formidable dans un film où il ne serait pas un danseur mais un homme sauvage. Je suis donc parti avec l'intention de trouver un Noureïev enfant, et puis j'ai abandonné cette idée. En second lieu, je suis passé à l'idée inverse, qui était de renouer un peu avec Les Mistons, où j'avais dirigé cinq enfants de Nîmes, dont un ou deux, vraiment, avaient quelque chose de très sauvage. J'aurais aimé retrouver un petit garçon de ce style. Pour trouver celui qui serait l'enfant sauvage, mon équipe et moi-même avons rencontré 2 500 enfants, afin d'en sélectionner une douzaine en vue d'essais. J'ai envoyé mon assistante faire des sorties d'école. C'est dans une rue de Montpellier qu'elle a remarqué, parmi d'autres, Jean-Pierre Cargol, un petit garçon gitan de douze ans, neveu du guitariste Manitas de Plata. »

François Truffaut est parfaitement satisfait de cette rencontre, cruciale pour la crédibilité du rôle :

« Le rôle de Victor est un rôle qui peut paraître très pénible pour un enfant. Pour le diriger, j'ai tout le temps cherché des comparaisons. Pour les regards, je lui disais : « Comme un chien ! », pour les mouvements de tête : « Comme un cheval ! » Je lui ai mimé Harpo Marx quand il fallait exprimer l'idée d'émerveillement avec les yeux ronds. Mais les rires nerveux ou les rires maladifs lui étaient difficiles car c'était un enfant très doux, très heureux et très équilibré. Les scènes difficiles, comme les saignements de nez, les crises nerveuses, n'ont été qu'esquissées. On arrêtait assez vite. On a évité le spectaculaire ; il ne s'agissait pas, par ce film, de faire peur ou d'impressionner, mais de raconter. »

Le contact est d’autant plus simple que le réalisateur, jouant lui-même le rôle du docteur, le dirige aussi en direct dans le plan. L’admiration du personnage d’Itard pour les progrès de Victor croise alors celle de Truffaut pour son comédien, qu’il compare aux plus grands :

« Jean-Pierre Cargol et moi sommes amis, nous nous comprenons. Je n'ai jamais vu d'acteur plus décontracté que lui, à part J-P Belmondo. C'est étonnant : il fait exactement comme lui. Il plaisante et rit lorsqu'il ne joue pas et dès que la caméra est sur lui, il vit tout à fait son rôle. J-P Léaud, quand il tournait Les 400 coups, était un enfant beaucoup plus difficile. »

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- Sur la collaboration entre François Truffaut et son scénariste Jean Gruault :

https://www.canal-u.tv/video/cinematheque_francaise/ecrire_un_film_dialogue_entre_jean_gruault_et_arnaud_desplechin.16736

- Sur la vie et l’œuvre de François Truffaut :

http://www.cinematheque.fr/expositions-virtuelles/truffaut-par-truffaut/index.php

- Sur le livre qui a inspiré François Truffaut pour ce film :

Les enfants sauvages : mythe et réalité, suivi de Mémoire et rapport sur Victor de l’Aveyron de Jean Itard, Lucien Malson, Éditions 10-18.

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Les bonnes raisons de voir le film

  • 1 Pour enfin voir un film où les enfants sont filmés sans aucune mièvrerie ou complaisance et qui, ce faisant, nous fait retrouver de façon vibrante des sensations d’enfance, comme si c’était la première fois : sensations tactiles, visuelles, relationnelles
  • 2 Pour la superbe interprétation du beau Jean-Pierre Cargol (l’enfant sauvage), et la poésie qui se dégage de ses gestes intuitifs et de ses regards perçants
  • 3 Pour son face à face avec François Truffaut-acteur dans son rôle le plus dense, grave et passionné sous le masque d’une impassibilité scientifique calculée
  • 4 Pour la scène du placard, où le docteur met l’enfant à l’épreuve d’une injustice délibérée en le punissant alors qu’il avait bien réussi son exercice. Chaque petit spectateur ne manquera pas de réagir avec intensité à cette cruelle expérience formatrice !

Pour quel public ?

À partir de 8/9 ans. Les plus petits seront sensibles aux épreuves simples que rencontre Victor (apprendre à parler, marcher, s’habiller, se tenir à table, se coucher dans un lit) et à sa façon tantôt malicieuse, tantôt rebelle de s’y opposer. Les plus grands seront touchés par la façon dont la société des adultes traite un enfant différent, perçu comme handicapé. Tous, parents et enfants, seront passionnés par les questions que le film induit : à quoi forme-t-on un enfant ? Qu’est-ce qu’éduquer ? Et à quel prix ?

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