La Jeune Fille au carton à chapeau
Rédigée par Agnès Dupuy

La Jeune Fille au carton à chapeau

De Boris Barn - 1h05 - 1927 (Russie)
La Jeune Fille au carton à chapeau
à partir de 6 Ans

Synopsis

Natacha a un caractère bien trempé et une joie de vivre à toute épreuve. 

Aucun homme, sauf son affectueux aïeul, ne trouve grâce à ses yeux : ni le guichetier, amoureux transi suspendu à ses aller-retours à Moscou pour livrer ses chapeaux, ni Ilia, étudiant pauvre et étourdi croisé par hasard dans le train.

Sa colère est vive lorsque ce dernier détruit son carton à chapeau ou quand il se glisse sous ses jambes pour récupérer un sou. Mais la candeur sincère d’Ilia la fait fondre. Touchée qu’il n’ait pas où dormir, elle fait croire au couple de marchands qui l’emploie qu’Ilia est son mari, et l’installe dans l’appartement de fonction qu’ils sont censés lui fournir. Or ce lieu servant à leurs réceptions bourgeoises, ils refusent. Ilia défend alors sa « femme » et lui donne gain de cause.

Dans ce jeu où chacun simule son rôle tout en feignant l’indifférence, comment révéler à l’autre la force du désir qu’on ne veut pas même reconnaitre en soi ? Qui sera la souris, qui sera le chat ?

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Qu’est-ce que l’état d’enfance, si ce n’est ce sentiment qui parcourt chaque instant du film, mêlant à la fois grâce, burlesque, drôlerie et sensualité ?

Les héros, pourtant adultes, prennent la vie avec autant de sérieux et de concentration qu’un enfant découvrant un jeu nouveau (« on dirait que tu serais mon mari »), et s’en affranchissent avec autant de liberté que lui.

La finesse des caractères - Natacha joyeuse, mutine et rusée, et Ilia tendre Charlot lunaire, aussi maladroit que sportif mais toujours plein de tact - n’a d’égale que l’élégance des images en noir et blanc, dont le grain, le dynamisme des contrastes et la subtile composition graphique, révèlent autant les peaux laiteuses que les corps musclés, les rides joyeuses ou les grimaces suantes.

L’inventivité dont fait preuve Boris Barnet dans ses cadres et ses déplacements nous fait ressentir la présence organique des éléments avec une fulgurance que n’éteint pas le siècle qui nous sépare de ces prises de vue : rails qui défilent, course effrénée, neige recouvrant les plaines ou révélant la trace d’un passage sur un banc, gel opacifiant une vitre ou dégel des coeurs sur un battement de cils, vapeur des nuages ou respiration haletante, chants de la radio (un paradoxe pour ce film muet) et silences chargés de langueur.

Un regard, un pont, une ligne d’horizon et du blanc autour : dans ses images épurées qu’un Matisse n’aurait pas désavoué, il sait également révéler tous ces détails qui trahissent l’hypocrisie sociale (la bonne qui reprend les attitudes des maitres), la pauvreté (le mouchoir qui sert de couverture), la fugacité de l’amour naissant (un sourire aussitôt apparu, éclipsé par le plan suivant) ou le désir tu (les paupières fatiguées qui n’osent pas s’endormir face à l’autre qui est là, si près).

Son rythme très enlevé est d’une redoutable efficacité et concentre avec brio toute situation sans qu’il y ait besoin d’un seul mot pour l’éclaircir, ce qui la rend immédiatement compréhensible pour chaque petit spectateur.

Le comique devient tendresse (les pieds patauds dans les bottes usées d’Ilia font fondre le coeur de Natacha), l’amour épouse le burlesque (sa course à travers les rues moscovites pour rejoindre l’être aimé finit contre la tôle d’une vespasienne), tout se croise avec naturel et légèreté, conférant au film sa poésie unique et un sentiment contagieux pour tous : la joie de vivre.

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Ce film date de 1927, soit 10 ans à peine après la Révolution d’Octobre. Il a été commandité au jeune Boris Barnet, 25 ans à peine, par le Commissariat Populaire aux Finances du gouvernement russe, afin de populariser un emprunt qui utilisait la formule des obligations à lots.

Le réalisateur tisse alors l’intrigue en prenant cette commande en considération, puisqu’il fait gagner à Natacha le gros lot d’une obligation avec laquelle son patron l’avait payée, ce dernier préférant ne pas lui céder les maigres billets qui lui étaient dûs.

Mais cela n’empêche en rien cet homme fantaisiste débordant d’inventions d’échapper avec grâce à la commande, en y taillant son propre style avec une spontanéité et une précision mêlées, que l’on n’imaginerait pas venant de quelqu’un qui réalise là son premier long métrage.

C’est sans doute son activité première, le sport, qui lui a conféré cette rigueur et cette grande attention aux mouvements des corps, burlesques, acrobates ou sensuels, à leur performance et à l’engagement physique de ses comédiens : « un acteur ne doit pas jouer, il doit agir » disait-il à sa comédienne Anna Sten, qui verra s’ouvrir après ce film une carrière internationale.

Achevant ses études dans une école militaire supérieure d’éducation physique, il est démobilisé et devient boxeur très jeune et très intensément. Mais, gravement blessé au cours d’un combat, il se retire pour donner des cours de boxe et, notamment, aux élèves de la grande école de cinéma russe VGIK dirigée par Lev Koulechov.

En 1923, il réalisera un court métrage documentaire consacré à la culture physique, et ne lâchera plus ensuite sa passion pour le cinéma… et l’amour. Cet homme, prêt à conduire un avion sur un coup de tête pour trinquer le temps d’une soirée avec sa dulcinée retenue par le tournage d’un confrère de l’autre côté des montagnes, rendra néanmoins hommage à son premier métier dans le très émouvant Le lutteur et le clown qu’il tournera trente ans plus tard - film dont Jean-Luc Godard reconnaitra « le style inimitable qui ne mourra qu’avec le cinéma ».

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Un livre : Boris Barnet (Ecrits, documents, études, filmographie), par François Albera et Roland Cosandey. Editions du Festival de Locarno, 1985

Un film : Au bord de la mer bleue, un film parlant de Boris Barnet emprunt d’une grâce similaire au film muet. (Dvd Éditions Bach Films - collection Les Chefs d’oeuvre du cinéma russe)

Un livret pédagogique: Cahier de notes sur… La jeune fille au carton à chapeau de Stéphane Goudet

La Jeune fille au carton à chapeau est inscrit au catalogue du dispositif national Ecole & Cinéma. Retrouvez la fiche "en famille" sur la plateforme Nanouk

Les bonnes raisons de voir le film

  • 1 Pour se sentir complètement rempli de joie après une heure à peine de film
  • 2 Pour la somptuosité du noir et blanc et la géométrie subtile de la composition des images
  • 3 Pour le jeu du chat et de la souris, au propre et au figuré, de la séquence où les deux héros se retrouvent seuls dans l’appartement et ont peine à lutter contre leur attirance mutuelle
  • 4 Pour découvrir, lors d’une séquence éminemment sensuelle, l’idée géniale de Natacha pour se faire enfin embrasser…

Pour quel public ?

À partir de 6 ans les enfants seront emportés par les ruses, le jeu et la vraie liberté de cette héroïne moderne, à l’opposé des personnages féminins faussement libérés dont les films de grands studios abreuvent aujourd'hui les petites filles sommées de s’y reconnaître à coup de marketing.

Ils apprécieront également le burlesque des prouesses physiques et les mimiques du héros, cousin russe de Charlot, résistant comme lui à la pauvreté à la fois par ses astuces, ses maladresses et la délicatesse de ses sentiments.

Les enfants de 9 à 99 ans, seront eux directement portés par l’incandescence de cet amour naissant et la fraîcheur avec laquelle le lyrisme amène à l’érotisation des situations.

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