Les Parapluies de Cherbourg
Rédigée par Agnès Dupuy

Les Parapluies de Cherbourg

De Jacques Demy - 1h27 - 1964 (France)
Les Parapluies de Cherbourg
à partir de 7 Ans

Synopsis

Guy et Geneviève s’aiment.
C’est une évidence.
Pour sa mère à elle, c’est un égarement.
Pour sa tante à lui, c’est une fatalité.
Pour les prétendants éconduits, c’est une page à leur faire tourner, et le départ de Guy à la guerre y participe. 
Mais la blessure de cette séparation cimente leur amour, qui fleurit dans le ventre rond de Geneviève : la veille de son exil ils unissent leurs corps à leurs serments.
Restent alors l’absence et la pression maternelle qui s’insinuent comme des poisons : Geneviève finit par accepter un mariage de raison comme on accepte un enterrement. 
De retour, Guy, désespéré, est sauvé in extremis de la déchéance par l’amour placide de sa voisine.
Lorsque le hasard les fait se croiser une nuit de Noël, les banalités qu’ils s’échangent ne cachent pas la persistance de leurs sentiments et l’amertume de leur constat muet: ils n’ont pas été à la hauteur de leur amour.

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Rédigée par Agnès Dupuy
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Il serait faux de penser que ce film ne s’adresse aux enfants qu’au motif qu’il est merveilleusement mis en chansons, que les couleurs sucrées se répondent superbement entre les décors et les costumes et que l’histoire épurée d’un amour contrarié est facilement compréhensible pour un jeune public.  

Tout ces points existent, certes, mais ce qu’un enfant reconnaît immédiatement est la force muette des sentiments exprimés : l’amour qui illumine le quotidien et donne des ailes pour grandir, le désarroi et la cruauté de la séparation, la révolte larvée contre une autorité sociale plus grande que soi, la violence sourde que peut transmettre une mère frustrée à son enfant, et celle plus directe de la trahison ou de l’absence de l’être aimé.  

Cette expérience va générer des larmes, c’est possible, mais aussi une formidable découverte : que le cinéma peut rendre compte de la force de tous ces sentiments en mêlant à la fois douceur et fermeté, tendresse et cruauté.

De fait, plus les dialogues mêlent avec humour trivialité du quotidien et apparente superficialité (« Mon amour, oh mon amour / Ma petite Geneviève / Guy je t’aime … tu sens l’essence / C’est un parfum comme un autre / Guy je t’aime, oh Guy je t’aime »), plus les mots primaires vous atteignent comme jamais, comme des fléchettes, droit au cœur : point de psychologie ou de naturalisme pour s’en prémunir, puisqu’on est plongé de bout en bout dans ce que Jacques Demy lui–même appelait un opéra « en -  chanté ».  

Tout comme le rêve d’absolu des héros se nourrit d’une naïveté si grande qu’elle en devient sa force, de même le tragique ici se nourrit du postiche : au plus les couleurs sont acidulées et schématiques, les décors stylisés de marionnette et les travellings en invraisemblable apesanteur, au plus les situations s’incarnent, violentes, profondes et tranchées, dans un conflit entre l’amour souverain des deux amants et la vampirisation du présent, le vide de l’absence, le poids de l’argent et les filiations nocives que leur passé familial égrenne. 

Dans ce film, on aime comme dans un conte de fées, on pleure comme dans Phèdre, on survit comme dans Les Dames du bois de Boulogne.

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Peu avant sa fin précoce, à l’âge de 59 ans, Jacques Demy évoquait ce souvenir de son enfance, une chanson triste que lui fredonnait sa mère : « Ça s’appelait "Lulu et Lola", et ça racontait l’histoire de deux enfants sur la plage. Quand ils deviennent adolescents, ils sont empêchés de s’aimer parce qu’ils viennent de milieux différents. On pourrait dire que c’était déjà le scénario des Parapluies de Cherbourg. Mais, en même temps, ça ne sert à rien de tout démonter. C’est inutile, ça peut faire du mal et, en plus, ça n’est pas vrai. »  

La confrontation à des milieux différents, J. Demy ne manque pas d’en montrer la cruauté et d’en dynamiter insidieusement les conventions (« Je suis enceinte, maman / C'est épouvantable. Enceinte de Guy ! Comment est-ce possible ? / Rassure-toi : comme tout le monde »), tout comme de mentionner les enjeux du présent : Les Parapluies de Cherbourg est un des premiers films de l’époque à faire référence aux ravages de la guerre d’Algérie. Cette guerre fait aussi vraisemblablement écho au traumatisme du réalisateur lorsque, enfant, il assista au bombardement de Nantes en 1943 : « il y a eu 6 000 morts en dix minutes. J’avais douze ans, un jeudi après-midi, j’étais avec ma mère quand ça a commencé mais personne ne s’en est préoccupé et je suis sorti. L’épicerie où j’allais n’était plus là, ni la maison en face et j’ai voulu voir mon école. C’était l’affolement complet avec des gens enterrés sous des immeubles de six étages et moi, je suis revenu par la ville. Je n’ai pas dormi pendant des mois ensuite. »  

Mais ce qui manque en effet dans cette chanson maternelle est la présence des hasards, coïncidences ou aléas, qui s’entrelacent autour des personnages. Ces croisements arbitraires du destin se télescopent d’un film à l’autre, où personnages et situations, entourage proche du réalisateur et figures de sa propre enfance se répondent en fantômes.

Ainsi Roland Cassard, le mari Geneviève,  est directement issu de  son premier film Lola, sorti trois ans plus tôt, avec Anouk Aimé dans le rôle-titre de la chanteuse-danseuse : il y est son ami d’enfance, et il croise dans une librairie une mère qui élève seule sa fille adolescente, Cécile. Amoureux éconduit de Lola, il ignore les avances de la mère de Cécile et quitte Nantes à la recherche d’une nouvelle vie.
La jeune Cécile, elle, décide de fuguer pour rejoindre un jeune marin en partance pour … Cherbourg.
Quand en 1964 sort Les Parapluies de Cherbourg, il passe du noir et blanc à la couleur, Cécile se mue en Geneviève, la librairie en bijouterie, et Roland Cassard en … Roland Cassard passant d’un idéal féminin à un autre : Catherine Deneuve.  

J. Demy pense d’ailleurs à elle immédiatement, alors que le projet (dont l’autre titre était  L’infidélité) était encore embryonnaire. Il lui en parle après l’avoir repérée dans le film L’homme à femmes de J. Cornu, où elle jouait le rôle de la fille de son idole d’enfance, Danielle Darrieux … qu’il pressentait également pour jouer la mère, ce qui ne put se faire par manque de moyens.

Catherine Deneuve deviendra  emblématique dans son œuvre: des Parapluies de Cherbourg, qui la consacre,  à Peau d’âne, en passant par Les Demoiselles de Rochefort (où, là, Danielle Darrieux jouera sa mère !) ou L'Événement le plus important depuis que l'homme a marché sur la Lune
Une chambre en ville (1982), autre grand film-opéra totalement chanté, faillit la montrer dans le rôle principal mais Catherine Deneuve, qui s’était fait doubler dans Les Parapluies de Cherbourg, tenait ici à chanter elle-même. J. Demy ne le souhaita pas et octroya ce rôle à Dominique Sanda. D. Darrieux, elle, y garde son rôle de mère.  

Les liens de filiation spirituelle se conjuguent également de façon concrète dans le film puisque les enfants de Guy et de Geneviève qui se rencontrent à la fin dans une station essence enneigée ne sont rien d’autre que Rosalie Varda, la fille de J. Demy et Hervé Legrand, le fils de Michel Legrand, alter-égo de du réalisateur qui composa toute la partition du film et révéla la dimension musicale de chaque dialogue que les comédiens, doublés, miment au millimètre près pour chaque note.

Pourquoi ne pas y voir également la projection de l’enfant-Jacques Demy, lorsque, coincé entre un père garagiste et une mère coiffeuse entre deux moments de servir l’essence, il animait dans son coin la scénographie de ses propres marionnettes et décors, inspirée des opérettes et des films qu’il allait voir dès 4 ans, persévérant ensuite avec la confection de films d’animation dès 8 ans puis des tournages sur sa propre caméra à 14 ans ?

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Jacques Demy, à propos de l’origine de son œuvre dans son enfance:
http://www.ina.fr/video/I04268258  

Sur les liens entre son enfance et sa vocation, revisités par sa femme Agnès Varda :
Jacquot de Nantes – long métrage de 1991.
http://www.cine-tamaris.fr/shop/product.php?id_product=7  

Les partitions pour piano et chant de la musique du film :
Les Parapluies de Cherbourg, par Michel Legrand - Édition Universal Publishing
http://www.cine-tamaris.fr/shop/product.php?id_product=28

Les bonnes raisons de voir le film

  • 1 Pour la sensualité du rythme qui se faufile avec évidence entre mots, notes, corps, couleurs et caméra.
  • 2 Pour vivre cette expérience avec son enfant d’être ému aux larmes en même temps que lui, et de rire après de ce synchronisme, en constatant comme les héros qu’on peut avoir des plaisirs tout en ayant une tristesse.
  • 3 Pour voir la sortie du train en gare de Cherbourg, avec la silhouette de Catherine Deneuve rétrécissant peu à peu puis disparaissant au loin sur le quai, dans la fumée blanche de la locomotive qui amène son amant à la guerre : aussi impérissable dans l’histoire du cinéma que, en d’autres temps, l’entrée du train en gare de la Ciotat.

Pour quel public ?

À partir de 7 ans.
Les Parapluies de Cherbourg s’adresse aux petits comme aux grands, à tous ceux qui sont « contre la guerre, contre l’absence, contre tout ce qu’on déteste et qui brise un bonheur. »(J. Demy)

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