Nausicaä de la vallée du vent
Rédigée par Agnès Dupuy

Nausicaä de la vallée du vent

De Hayao Miyazaki - 1h56 - 1984 (Japon)
Nausicaä de la vallée du vent
à partir de 9 Ans

Synopsis

Nausicaä aime tout.
Elle aime les plantes, même si elles sont terriblement toxiques et l’obligent à porter un masque.
Elle aime les insectes, même s’ils sont effrayants et qu’ils tuent les hommes.
Elle aime les hommes, même s’ils réveillent le monstre en eux et celui enfoui sous terre.
Sa bienveillance lui permet de comprendre la colère des uns et la haine des autres, dans un monde apocalyptique où les industriels ont anéanti la planète par la pollution, il y a plus de 1000 ans. Mais sa confiance va-t-elle rester intacte lorsque un peuple voisin massacre son père et son royaume verdoyant, niché dans une vallée où le vent berce les cultures et permet de résister à l’air putride de la Forêt Toxique ? Et comment apaiser les Omus, gigantesques termites globuleuses anéantissant quiconque y toucherait ? 
Avec pour seule arme son planeur, arrivera-t-elle à concilier tous ces mondes ?

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Rédigée par Agnès Dupuy
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Les relations que Nausicaä entretient avec le monde distingue d’emblée ce film du flot de dessins animés sirupeux offerts au jeune public. N’entretenant ni violence gratuite, ni intrigue lénifiante, il scrute tout ce qui bascule de l’effroi à la douceur.

Lorsqu’elle se fait mordre crûment le doigt jusqu’au sang par un petit renard, au lieu de se débattre elle garde un silence étrange. Du coup la bête, en un simple mouvement d’oreilles, devient tendre. « Voilà, tu étais simplement effrayé », lance-t-elle à celui qui va désormais la seconder partout. Son respect de l’autre, quel qu’il fut, génère des péripéties haletantes qui captiveront les enfants. Cohabiter avec la peur pour l’assagir plutôt que de chercher à l’éliminer est un enjeu qui intéressera des enfants expérimentant eux mêmes leur impulsivité.

La force du film est de ne pas éluder la noirceur de la mort qui rôde, tel cet imposant vaisseau qui plane en douceur comme un cauchemar sourd : à peine y distingue-t-on une petite fille passant furtivement derrière l’un des multiples hublots, qu’il s’écrase contre la montagne. À la fois très rapide et abrupt, le rythme confère une efficacité énorme sur la violence du choc et la mort ellipsée de la fillette. Mais par contraste nous ressentons avec d’autant plus d’éclat la majesté des moments qui ne répondent à aucune injonction scénarique : plaisir du vent qui souffle dans les cheveux, à travers les arbres, sur les ailes des moulins, fumée qui ondoie, oiseaux se désaltérant en paix, bébé à qui on cherche un nom, comme si la beauté qui en émane tissait en pointillé la réponse victorieuse au chaos. Cette apesanteur est concrétisée par la subtilité des dessins, immobiles ou en mouvement, crayonnés ou lisses, ou ces jeux d’échelle : forêt / corps, nuages / champignon, insectes géants / humains nanifiés - tout comme des enfants dans leur perception des adultes.

De même le son offre une large variété de sensations : musique électronique, silences, cliquettement cristallin ou voix d’enfant à cappella, retenant notre souffle en présage d’une violence à venir ou sollicitant la réminiscence d’un éden révolu.

Un brin d’herbe clôt le film, comme si tout avait été aspiré par cette pousse minuscule, point de convergence ultime de cette débauche de guerres et de colosses, et qui par son minimalisme en renverse la force. Être tout petit, fragile et seul, et révéler ainsi toute sa pureté et sa puissance de vie face à un monde adulte gargantuesque et violent : voilà un paradoxe qui intéressera chaque petit spectateur.

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«J'étais très petit. Nous habitions alors une maison à une centaine de kilomètres au nord de Tokyo. Un soir la ville a été bombardée. Je me souviens très bien de notre fuite. Nous avions entassé des affaires dans une carriole et mon père me portait sur son dos. Je me rappelle surtout les lumières, pas la peur. J'étais fasciné par le ciel nocturne illuminé, j'en garde de fortes impressions visuelles. Par chance, notre maison n'a pas été détruite, mais nous n'y sommes pas retournés. Quand mon père est allé récupérer quelques affaires le lendemain, il est tombé sur un gamin effrayé qui s'y était réfugié. Il y a peu, j'ai reçu une lettre de ce « jeune » rescapé qui me raconte comment mon père l'a rassuré, lui a dit de rester autant de temps qu'il le voulait et lui a même donné une barre de chocolat ! Une ra­reté inouïe à l'époque : moi, je n'en avais jamais mangé ! Je me demande bien où il l'avait trouvée, sans doute se la réservait-il. L'enfant, lui, a pensé que c'était un dieu descendu sur Terre… Cette anecdote m'a fait un immense plaisir, comme une bulle venue du passé où j'ai pu entrevoir les jeunes années de mon père, un homme que je n'imaginais pas, bon et ouvert. »

Hayao Miyazaki déteste que son père ait prospéré grâce à la guerre en fabricant des pièces pour le célèbre bombardier japonais, mais pour autant il reste toujours fasciné par la mécanique aérienne. Son père est pris pour un dieu, mais lui le perçoit comme un diable. La destruction de leur ville est apocalyptique, et elle offre en même temps un « son et lumière » éblouissant. La beauté et le désastre seraient-ils fatalement inséparables ? Le vers de Paul Valéry qu’il utilise pour nommer son dernier long métrage, nous donne une réponse :« Le vent se lève ! … Il faut tenter de vivre ». Tenter d'être, d'avancer, d'accomplir, malgré un sort contraire et des sentiments antinomiques, tels ces monstrueux Omus (王虫 = Ô mushi, « insecte royal » en japonais) dont les yeux rougeoyants deviennent bleus quand on ne cherche pas à les tuer.

Le compromis comme stratégie atteint son paroxysme lorsque Nausicaä tente coûte que coûte d’empêcher de redonner vie au guerrier géant préhistorique enseveli - hommage lointain à la légende arthurienne de Merlin et la prophétie des dragons dans les Romans de la Table Ronde (http://expositions.bnf.fr/arthur/antho/43/06.htm)

Le réalisateur, véritable trésor national vivant imprégné de culture japonaise, puise dans nombre de mythes et légendes extérieurs pour nourrir son imaginaire et ses questionnements récurrents sur l'écologie, la guerre, la religion, la tolérance et la science : du prénom donné à son héroïne, en référence à celle qui dans L’Odyssée d’Homère recueille Ulysse et le « lave » de ses errements, à sa capacité à comprendre le vent, inspiré des Cycles de Terremer de Ursula K. Le Guin, où des adolescents prédisposés à la magie peuvent influer sur les airs et les courants qui entourent leurs îles.

L’élaboration du générique du film lui même émane de la Tapisserie de Bayeux, chef d’oeuvre iconographique et première BD avant l’heure relatant la bataille de Guillaume le Conquérant.

De fait Nausicaä de la vallée du vent fut d’abord une BD dont la publication a démarré dans le magazine Animage en 1982, deux ans avant le film. Il faudra douze ans pour que s’achève l’œuvre originale sur papier, qui a connu plusieurs interruptions. Le film d’animation est initié alors que la publication de Nausicaä a débuté depuis seulement un an. Miyazaki va devoir imaginer une synthèse des deux premiers volumes, limités par rapport à ce que sera le scénario complexe et détaillé du manga (sept volumes au total). Ses atouts pour y arriver ? Son exigence notoire et passionnée, son expérience d’animateur intervalliste au studio Toei Doga depuis 1963 et le souvenir d’un film qui le marqua profondément, autant techniquement que dans les émotions transmises : Le Serpent Blanc (du studio Toei Doga) réalisé par Taiji Yabushita et inspiré d’un des contes chinois les plus populaires.

Nausicaä de la vallée du vent sera un succès, et l’engagera à poursuivre dans cette voie en créant en 1985 avec son collègue Isao Takahata le Studio Ghibli  (ジブリ : « djibli ») qui lui permettra de donner naissance à ses 9 longs métrages ultérieurs et à de nombreux scénarios, du Château dans le ciel au futur Comment vivez-vous ? tiré du roman écrit par Genzaburo Yoshino en 1937 dont la sortie serait prévue à l’été 2018.

Hayao Miyazaki a choisi le Ghibli, ce vent chaud du sud qui souffle dans le désert, pour nommer ce studio qui recherchait un nouveau souffle dans la création de films d’animation originaux de grande exigence technique et scénarique, libérée d’une contraire de temps trop stricte. Ainsi, le public visé ne se limite pas aux enfants mais englobe tous les publics grâce à différents niveaux de lecture. Ainsi le résume-t-il : « Je cherche juste à faire des films qui peuvent m’émouvoir comme le faisaient des films lorsque j’étais enfant ».

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Interview sensible et sincère du réalisateur Hayao Miyazaki avec un adolescent français qui le questionne sur son oeuvre, son travail et son regard sur le monde : https://www.youtube.com/watch?v=qHA7gigOpQ4

Poème de Paul Valéry auquel Miyazaki se réfère : https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Cimetière_marin 

Le site de la Tapisserie de Bayeux, dont le réalisateur a pu s’inspirer pour l’inscription légendaire de son film et le graphisme de son générique : http://www.bayeuxmuseum.com/la_tapisserie_de_bayeux.html

Le site du Musée Ghibli (en anglais), consacré à toutes les oeuvres du studio éponyme, présidé par Miyazaki lui-même : http://www.ghibli-museum.jp/en/004518.html

Un montage de différents extraits des grands films d’animation réalisés par Miyazaki : https://vimeo.com/102392560

Nausicaä (BD en 7 volumes par Hayao Miyazaki, Ed.Glénat Mangas, collection Studio Ghibli, 2009)

Nausicaä de la vallée du vent : Recueil d'aquarelles (par Hayao Miyazaki, Ed.Glénat, 2006)

Le serpent blanc (de Taiji Yabushita, studio Toei Doga - 1958), magnifique et premier long métrage d'animation japonais en couleurs, qui marquera profondément Miyazaki, au point d’orienter son avenir professionnel dans l’animation.

L'œuvre aérienne de Hayao Miyazaki - Gael Berton ( Edition Third Eds, collection Force) - à paraître en juillet 2018. Un livre complet sur le réalisateur, ses oeuvres et le Studio Ghibli.

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Les bonnes raisons de voir le film

  • 1 Pour partager l’épreuve initiatique d’une jeune fille qui doit apprendre à dompter sa sauvagerie et sa violence, tout en contenant celles des autres
  • 2 Pour sentir en un clin d’oeil l’humanité qui se dégage de ces monstres Omus pourtant difformes et effrayants
  • 3 Pour le réveil apocalyptique du dieu-guerrier géant, qui se décompose à mesure qu’il éructe sa puissance de feu carnassière, véritable pied-de-nez aux représentations coutumières de la force chez les « super-héros »
  • 4 Pour tous ces va-et-viens entre délicatesse et démesure, béatitude et folles catastrophes, tension de mort qui rôde et feu d’artifice d’énergie vitale, qui en font un film d’animation unique

Pour quel public ?

À partir de 9/10 ans : la beauté et la poésie du film sont à la mesure de la dureté de ses enjeux de mort. Certains passages seront bien intégrés par les plus grands, mais risquent de troubler les plus jeunes qui pourraient être effrayés par l’étrangeté des insectes difformes et la violence tantôt directe, tantôt sourde, des affrontements guerriers.

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