L'île de Giovanni
Rédigée par Mathilde Boissel

L'île de Giovanni

De Mizuho Nishikubo - 1h42 - 2014 (Japon)
L'île de Giovanni
à partir de 10 Ans

Synopsis

Jumpei et son frère Kanta sont inséparables. Avec leur père et leur grand-père, ils mènent une vie modeste sur la petite île de Shikotan. En 1945, le Japon vient de perdre la guerre, et ses habitants vivent dans une constante crainte des forces américaines, entre reconstruction et peur de l'invasion. Ce petit lot de terre, éloigné de tout, va finalement être annexé par l'armée soviétique. Les familles japonaises se retrouvent chassées de leurs foyers, sans ressources, et les écoliers doivent partager l’école avec les enfants des soldats… C’est une étrange cohabitation qui commence alors entre ces deux peuples que tout oppose. Mais à travers l’innocence des enfants, l’espoir renaît. D’ailleurs, Tania, la petite voisine blonde aux yeux bleus, ne laisse pas Jumpei indifférent.

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Cette histoire nous est racontée à travers les yeux de Jumpei. Devenu vieux, il revient pour la première fois sur l’île de Shikotan, où il a grandit. Un endroit habité par ses souvenirs d’enfance : un grand-père un peu austère, un père courageux qu'il admirait, un oncle un peu filou, mais surtout un petit frère, Kanta, avec qui il entretenait une relation quasiment fusionnelle. Ensemble, ils jouaient à incarner Giovanni et Campanella, les héros de Train de nuit dans la voie lactée, nouvelle de l'écrivain Kenji Miyazawa, que leur père leur lisait, en souvenir de leur défunte mère. Ensemble, ils riaient aux éclats, ils ramassaient parfois des œufs pour le repas, et ils adoraient faire fonctionner leur train électrique. A l’école, ils chantaient des chansons, et la maîtresse était gentille et courageuse. Tout a basculé avec l’arrivée des « ruskoffs », en terrain conquis. Difficile d’accepter d’être chassé de chez soi, de sa salle de classe, d’être privé de riz par des étrangers, des inconnus. Tout ça à cause d'une guerre menée par des adultes.

Pourtant la vie continue. Même en temps de guerre, les enfants jouent et s’émerveillent. C’est dans leur nature. Ces enfants de deux cultures différentes vivent une situation difficile et injuste, les uns chassés, les autres déracinés. Forcés de partager l’île, ils se découvrent et tentent de communiquer, pour finir par apprendre à vivre ensemble « normalement ». La relation d’amitié, voire d’amour, que tisse Jumpei avec Tania, et qui semble l’obséder, est très belle. C’est une des grandes forces de ce film : aborder une réalité historique difficile, via le regard d’un enfant dont la fraîcheur adoucit la gravité de la situation. L’œuvre a trouvé son équilibre entre émotion grave, légèreté et rêve. Les séquences oniriques, lorsque Jumpei et son frère se réfugient dans leur imaginaire comme pour fuir ce qu’ils vivent, sont merveilleuses. En de nombreux points, l’œuvre rejoint le célèbre et magnifique Tombeau des Lucioles de Takahata. 

Par ailleurs, d'un point de vue historique, le film est très documenté. Le scénariste Shigemichi Sugita s’est appuyé sur les travaux d'un jeune américain ayant recueilli de nombreux témoignages d’habitants des îles Kouriles, à l'époque de la sédition du Japon. Par ailleurs, le témoignage d'un ancien habitant de Shikotan, M. Hiroshi Tokuno, a servi à la création du personnage de Jumpei. Le réalisateur a souhaité évoquer cette sombre période via le souvenir d’un enfant. Ce point de vue, naïf et doux, se traduit dans le style graphique du film, aux traits parfois simples, et à la perspective légèrement déformée que l’on doit au directeur artistique argentin Santiago Montiel. 

Dans ce film, un joli paysage détaillé pourra rencontrer la drôlerie d’un personnage qui grimace exagérément, empruntée à l’univers du manga. Cette diversité de style est intéressante, et la technique d’animation y est pourtant unique : le dessin animé. Le film est en effet le fruit d’un long travail entièrement réalisé à la main, sans support informatique pour le dessin, supervisé par Nobutaka Ito, connu pour sa participation à de nombreuses œuvres de qualité comme Les enfants loups, Ame et Yuki

Une réalisation remarquable, signée Mizuho Nishikubo, qui gagnerait à être connu du public français ! Benshi est sous le charme. 

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L'île de Giovanni a fait l’unanimité au Festival international du film d’animation d’Annecy en 2014, où il a remporté les prix du Public et du Jury. 

Mizuho Nishikubo. Ce nom est peu connu du public, même des fans de l'animation japonaise. Pourtant L'île de Giovanni est son troisième long métrage (après Atagoal: Cat's Magical Forest en 2006, et Musashi - Le rêve du dernier samouraï en 2009), mais le premier distribué en France. Le cinéaste a longtemps collaboré avec Mamoru Oshii, notamment sur son fameux Ghost in the Shell (1995), qu’il a produit et co-réalisé.

Passionné d’histoire, Mizuho Nishikubo signe un long métrage abordant un épisode peu connu de l’Histoire japonaise, à la fin de la seconde guerre mondiale. L’archipel des îles Kouriles, au nord du pays, est conquis par les russes au moment de la reddition du Japon. L’histoire se déroule plus précisément sur l'île de Shikotan, la plus grande de l’archipel, qui fut habitée pendant des siècles par une ancienne communauté nippone. L'île fut rattachée à l'Union Soviétique après la conférence de Yalta en 1945. Les colons russes ont d’abord déporté les militaires japonais vers des camps de travail. C’est notamment le cas du père de Jumpei et Kanta, que les enfants tentent de rejoindre au cours d’un dangereux périple. Plus tard, l’ensemble de la population japonaise sera aussi déportée, dans des conditions médiocres. Ce voyage coûtera la vie au petit Kanta. Plus tard, la population sera rapatriée en majorité vers le Japon. Malgré de nombreuses réclamations, le Japon n'a, à ce jour, toujours pas pu récupérer les quelques îles, dont celle de Shikotan, qui furent cédées à cette époque à l'URSS. Lorsque Jumpei retourne sur l’île de nombreuses années après, les habitants sont d’ailleurs toujours russes. Aujourd’hui, ce sujet reste source de conflits diplomatiques.

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Le site internet du film regorge d’anecdotes et de belles images.

Un dossier pédagogique réalisé par Nicole Montaron, de l'association Atmosphères 53.

Autour de la nouvelle Train de nuit dans la Voie Lactée 
La nouvelle Train de nuit dans la voie lactée, écrite en 1927 par Kenji Miyazawa est très présente le film. Elle n’a cependant été publiée qu’en 1934 en neuf chapitres, dans un recueil intitulé Œuvre complète de Kenji Miyazawa, publié par Bunpodo. Quatre versions différentes sont connues aujourd’hui, la dernière étant la plus répandue au Japon.
La nouvelle est traduite en français en 1989 et publiée par les éditions du Serpent à Plumes, au sein d’un recueil comprenant trois histoires : Gauche le violoncelliste (adaptée au cinéma par Isao Takahata avec Goshu le violoncelliste en 1981), Matasaburo le vent et Train de nuit dans la Voie lactée.
Cette nouvelle est d’ailleurs célèbre au Japon, et a inspiré de nombreuses œuvres artistiques notamment dans le domaine de l’animation, du manga, mais aussi des la musique et de la littérature. Enfin, dans la région de Tōhoku au Japon, d’où est originaire Kenji Miyazawa, le nom de la nouvelle a aussi été repris pour un train reliant les gares de Moriokaet Sannohe : Iwate Ginga Tetsudō sen.

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Les bonnes raisons de voir le film

  • 1 Pour découvrir, à travers le regard d’un enfant, la vie sur l'île de Shikotan à l’époque de l’occupation russe
  • 2 Pour le juste équilibre des émotions, graves et légères
  • 3 Pour la beauté de l’animation et des dessins réalisés à la main
  • 4 Pour les chansons japonaises et russes chantées par les élèves
  • 5 Pour voyager dans le train de nuit de la voie lactée avec Giovanni (Jumpei) et Campanella (Kanta)

Pour quel public ?

Nous recommandons ce film à partir de 10 ans. Le sujet abordé est grave, complexe, et n’est pas adapté à un public trop jeune. 

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