ENTRETIENS

Linda veut du poulet ! : entretien avec Chiara Malta et Sébastien Laudenbach

Rédigée par Benshi

 

Ce mercredi sort un coup de cœur Benshi découvert à la dernière édition du Festival d'Annecy : Linda veut du poulet ! réalisé par Chiara Malta et Sébastien Laudenbach !

Chiara Malta a réalisé plusieurs courts métrages, dont une trilogie consacrée à l'enfance, sélectionnés et primés dans de nombreux festivals internationaux. Elle a également réalisé plusieurs longs métrages, notamment Simple Women (2019). Sébastien Laudenbach, pour sa part, est un réalisateur et illustrateur, reconnu pour le long métrage d'animation La jeune fille sans mains (2016). 

Après avoir réalisé ensemble un court métrage en prise de vue réelle (A comme Azur, 2020), ils signent maintenant ce film d'animation plein d'humour et de tendresse qui traite, avec beaucoup d'intelligence, des sujets loin d'être évidents : le deuil, la perte d’un proche et les souvenirs enfouis.

Nous avons eu le plaisir de rencontrer les coréalisateurs pour vous partager les coulisses de ce beau projet. 

 

Vous avez réalisé ensemble Linda veut du poulet !. Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de votre rôle sur le film ?

Sébastien Laudenbach : Je fais de l'animation depuis 20 ans, c’est pour moi et avant tout un moyen d’expression. J'ai travaillé avec des techniques très différentes : du sable, du dessin, des objets, et sur des formats courts essentiellement. J’ai également réalisé un long métrage qui s'appelle La jeune fille sans mainsLinda veut du poulet ! est un film qu'on a imaginé, écrit et mis en scène à deux.

Chiara Malta : Je travaille habituellement sur des fictions en prise de vue réelle. Mon désir, au départ, était de faire un film pour les enfants. Le projet a commencé alors que je passais plusieurs jours dans une résidence d'écriture. J’ai demandé à Sébastien de me rejoindre pour écrire ce film avec moi, mais nous n’avions pas prévu de le coréaliser à ce moment-là. J’avais déjà travaillé sur quelques projets d’animation avec d'autres animateurs, et Sébastien n'avait pas encore fait La jeune fille sans mains. On a écrit une première version de l’histoire, mais on ne savait même pas que ce projet deviendrait un film d'animation.

Chacun a ensuite poursuivi ses projets de son côté, Sébastien a fait La jeune fille sans mains au moment où j'étais pensionnaire à la Villa Médicis. Le travail de Sébastien avait pris une forme qui rentrait en adéquation avec le projet de Linda veut du poulet ! : d’un point de vue économique d’abord, parce que faire un film d’animation peut coûter très cher, et aussi au niveau du style, parce que nous souhaitions réaliser une comédie de mouvement, il y avait une priorité à la ligne plus qu’au personnage. On s'est mis au travail et on a partagé la mise en scène.

La particularité de ce film est sa conception sonore, qui vient de la prise de vue réelle et du jeu d'acteur. Nous avons travaillé sur un plateau avec des comédiens pour confronter le scénario à la réalité et aux lieux. Nous n'avions pas enregistré le son pendant ces sessions, mais nous avons mis en scène le film : on avait une script, des accessoiristes… Il n'y avait pas de caméra ni de storyboard, mais il y avait notre regard : les comédiens étaient dirigés, ils se déplaçaient. S’ils étaient plus à l’aise à un autre endroit, on en prenait compte. On est partis de ces répétitions sur le plateau pour décider de la mise en scène. L’animation du film hérite de cette confrontation entre la page écrite et le comédien qui incarne.

Sébastien Laudenbach : On est allés dans des écoles, dans des parcs, sur des paliers d'immeubles…

Chiara Malta : Le son a été enregistré avant de faire l'animatique. Nous sommes partis du film sonore et de notre mémoire des images des répétitions sur plateau, que nous avons essayés de retranscrire en animatique, avec un dessin un peu plus brouillon, sans fond. L’animation est arrivée pratiquement en tout dernier, et nous avons laissé une liberté aux animateurs. L’idée était qu’ils prennent possession de la mise en scène, notamment grâce au son et aux expressions des comédiens sur lesquels ils pouvaient se baser.

Sébastien Laudenbach : Oui, les animateurs pouvaient être force de proposition. Comme toute l'équipe était réunie au même endroit et que Chiara et moi étions là, on pouvait aussi interagir avec eux très facilement. Ils nous faisaient des propositions et on réagissait. Il y avait quelque chose d'assez simple dans cette façon de travailler.

 

Il y a un réalisme dans le jeu et dans les voix des personnages qui est assez exceptionnel pour un film d’animation, qui vient sans aucun doute de tout ce travail assez original que vous décrivez.

Chiara Malta : À mes yeux de cinéaste de la prise de vue réelle, l’animation n’est pas un genre mais une technique que je cherche à mettre à l’épreuve, en la faisant cohabiter avec la prise de vue réelle. Dans ce film en particulier, il y a des scènes qui auraient été alourdies par tout un processus technique si on avait dû tourner : faire voler une poule, par exemple ! L’animation a facilité certaines choses tout en donnant une légèreté toute particulière à cette histoire.

Sébastien Laudenbach : Ce que dit Chiara me parle car dans La jeune fille sans mains, notamment, j'ai essayé de questionner l’animation. C'est une écriture particulière qui est un peu à contre-courant de ce qui se pratique normalement en animation. C'est là où il me semble que Chiara et moi trouvons une porte d'entrée vers un moyen d'expression qui permet de réaliser de façon unique.

 

Comment avez-vous choisi de faire ces dessins très originaux où chaque personnage est caractérisé par une couleur unie ?

Sébastien Laudenbach : Il y a bien sûr des raisons économiques, mais aussi des raisons créatives, ludiques, et d’expressivité. Les personnages sont assez détaillés quand ils sont en gros plan, et sont représentés par des taches quand ils sont loin.

Chiara Malta : Tout concordait, puisque nous avions une contrainte économique réelle qui d'ailleurs était assez cohérente avec le projet du film. Faire ce film avec un budget de 20 millions d'euros, par exemple, aurait été ridicule. Pas uniquement au regard de l’éthique du cinéaste, mais parce qu'il y a un principe de cohérence avec le projet. C'est comme faire un film sur la pauvreté à 2 millions d'euros, il y a quelque chose de scandaleux. On voulait une fabrication humble et artisanale et proposer un univers enfantin, sans être dans la performance. Cette idée du mono couleur nous faisait penser à l’enfance, et il y a une forme de tendresse qui se dégage du film. L’animation fait écho aux dessins d’enfants : quand un enfant dessine, il va vite, les formes et les couleurs sont simples. On a aussi voulu faire un film populaire qui parle à tout le monde.

Sébastien Laudenbach : C'est aussi pour ça qu'on est allé chercher Margot du Seigneur pour les décors, qui est une plasticienne qui avait travaillé sur La Traversée de Florence Miaillhe. Quand on a vu son travail sur La Traversée, ça nous a semblé une évidence. Elle travaille sur des appositions de couleurs, d’une façon qui n’est pas savante, mais très accessible et très ludique, très joyeux aussi.

 

La couleur et le dessin viennent contraster joliment ce travail sur les voix, très réalistes.

Chiara Malta : Oui, il y a une simplicité, mais en même temps, l’histoire est moderne est très ancrée dans le monde réel. Nous avons cherché une simplicité pour rendre le film accessible à tout le monde et d’abord aux enfants. Et en même temps, il y a plusieurs niveaux de lecture dans le film, donc on espère que chaque génération trouvera sa porte d’entrée.

Les contenus pour enfants sont souvent assez laids. Alors que si on s'adresse à l'enfant en pensant vraiment ce qui peut plaire à son âge, on atteint très vite l'art. Le premier interlocuteur d'un artiste devrait être un enfant, parce qu'il ne craint pas l'abstraction, parce qu'il peut entendre toutes sortes de langues, parce qu'il n'y a pas d'a priori... Nous avons essayé de faire un véritable effort pour s’adresser aux enfants en évinçant les a priori d'adultes. D'ailleurs, les dessins d’enfants en maternelle sont plus proches d’un Picasso que des dessins d’un lycéen. Nous n’avions pas le désir - qui pourrait sembler élitiste - de faire un film d'art à tout prix, mais il y avait quand même une volonté de proposer aux enfants un film beau, tout en les divertissant beaucoup.

 

Comment est née l’histoire de Linda et du poulet ! particulièrement originale et cocasse ?

Chiara Malta : On souhaitait parler d’injustice, et de souvenir enfoui. Cela nous a amenés à réfléchir à ces moments de la vie dont nous avons très peu de souvenirs. On peut oublier une anecdote, mais si on oublie quelque chose de fondamental, ça peut être très troublant et ça laisse des traces. J’avais aussi envie de parler du souvenir alimentaire. Je vis en France et la première nostalgie qu'on a quand on habite à l'étranger, c'est celle des goûts. On est arrivés assez vite à des recettes italiennes. On voulait une madeleine de Proust, mais romaine. Donc on a choisi le pollo ai peperoni !

Sébastien Laudenbach : La petite fille qui fait la voix du petit Pablo (le plus petit du film) avait deux ans et demi quand elle a enregistré la voix. Aujourd’hui, elle a tout oublié ! Ce que montre bien le film, c'est que même si on oublie, on a vécu ces moments, les émotions peuvent ressortir car ce vécu est en nous et détermine aussi ce qu’on va devenir.

 

Linda veut du poulet ! est aussi un film qui nous parle des adultes et de leurs failles.

Sébastien Laudenbach : Nous voulions que tous les adultes retombent en enfance. On trouvait plus drôle que les gags reposent sur les chutes des adultes, leur maladresse… Un enfant qui tombe, c'est son quotidien. Un adulte qui tombe, c'est beaucoup plus drôle.

Chiara Malta : On pense souvent que les adultes sont un modèle. Il était important pour nous de montrer des failles chez nos personnages. Un adulte peut pleurer, tomber, et c’est normal. Si on montre un monde adulte de perfection, d'ordre, de rigueur, de morale, on ne reflète pas la réalité.

On est humain, il est nécessaire de réhabiliter les failles et de les mettre en avant. Dans le film, la mère n'est pas parfaite, et c’est tant mieux parce que beaucoup de mères vont pouvoir s'identifier.

La mère donne même une gifle, mais elle s’en repent, elle est tout simplement humaine et c’est ce qui nous attendri. Toutes les générations de femmes sont présentes dans le film. Quand on a pensé et dessiné la mémé, elle avait l'âge de Linda et ses copines dans sa façon d’être. C'était peut-être la plus étourdie du groupe. Il y avait l’idée que les personnages aient parfois un peu tous le même âge dans leur mentalité. On aimait beaucoup présenter les adultes en régression profonde, ça nous a beaucoup amusés.

L’histoire de départ était mère-fille, mais nous avons déployé plein de personnages. On a pensé le film comme une suite d’accidents, qui a amené de nouveaux personnages. C'est pour ça qu'ils sont aussi vrais dans la rencontre. Parce qu'eux-mêmes se sont présentés à nous via l'accident. Le camionneur à pastèques est arrivé tard, quand on s’est demandé où pourrait atterrir Linda. Les complications créent l’action, c’est une façon d'appréhender le récit.

Sébastien Laudenbach : Il n’y a pas de héros dans le film. C'est comme si tous ces personnages étaient différentes facettes d’un adulte pas performant, mais tendre. Ils représentent plusieurs angles de ce monde adulte.

 

Le choix des voix est très réussi, elles sont réalistes et spontanées. Quelle a été votre façon de travailler avec les acteurs et comment les avez-vous choisis ?

Sébastien Laudenbach : On connaissait déjà les acteurs adultes qui nous plaisaient beaucoup. Pour les enfants, on a fait un casting. Nous connaissons la petite fille qui incarne Linda depuis qu'elle est née. Elle a une personnalité très forte, et nous savions de quoi elle était capable. Elle avait fait la voix du pilote quand elle avait six ans. Elle a grandi avec ce personnage puisqu’elle avait neuf ans au moment de l’enregistrement des voix.

Chiara Malta : On a fait en sorte que ses copines et elles passent du temps ensemble, comme on fait avec des comédiens en tournage. Les enfants ont enregistré les voix ensemble, ils ont partagé des moments de fou-rire, comme au moment d’enregistrer la scène à la canne à pêche où ils se sont servis de la perche de l’ingénieur son pour la mimer !

Sébastien Laudenbach : On leur a fourni plusieurs accessoires de jeu, comme un chat et en chien en mousse, pour créer des situations.

Chiara Malta : Esteban (Serge, l’agent de police débutant) était excellent et a transformé le personnage par son jeu. Il n'y a pas de secret, quand on a une scène, on écrit, et puis les acteurs se l’approprient. Ils proposent des choses que nous gardons et qui viennent nourrir le projet.

 

Pouvez-vous nous parler du poulet du film ?

Sébastien Laudenbach : C’était important pour nous de montrer aux enfants que les poulets, avant de se retrouver au supermarché, sont élevés puis tués. Au-delà du choix d’être végétarien ou pas, il me semble qu'avant de choisir si on veut manger de la viande, nous avons besoin de savoir ce qui se passe avant qu’elle arrive dans notre assiette. Ce sont des notions qu’on a perdu ces 50 dernières années. Aujourd’hui, comme dit la grand-mère dans le film, « on les achète au supermarché ! C'est mon père qui tuait les poulets. » Ces questions sont aussi les nôtres, nous avons nous-mêmes perdu certaines notions à cause de notre mode de vie urbain.

 

Quels films ont marqué votre enfance ?

Chiara Malta : L’Incompris (Luigi Comencini, 1968), qui selon moi mérite d’être vu par tous les enfants de la planète pour leur apprendre ce qu’est le deuil et la douleur. C’est l’histoire d’un garçon de 12 ans dont la mère est morte. Il possède un enregistrement audio de sa mère sur une bande, et l’efface par mégarde. Désespérément, il prend son vélo, et il quitte son village pour Florence pour réparer le magnétophone. Il apprend que l’enregistrement est parti pour toujours, et c’est comme si sa mère mourait deux fois. C'est un film sublime. Il y a Mozart qui accompagne l'intériorité de ce garçon. C'est une histoire de fratrie et surtout de perte, de deuil, qui m'a beaucoup marquée.

Sébastien Laudenbach : Quand vous posez la question, il y a deux films qui me viennent, c'est Bambi (1942) et E. T. (1982). Après, pour Linda veut du poulet !, on a été nourris par plein de films, et pas forcément des films qu'on regardait dans notre enfance.

 

Rédigée par Benshi