ENTRETIENS

Entretien avec Benh Zeitlin

Rédigée par Cédric Lépine

Cédric Lépine, rédacteur pour Benshi, nous fait part de ses échanges avec Benh Zeitlin, le réalisateur du film Wendy, à découvrir à partir de 11 ans au cinéma à partir du 23 juin 2021.

Les adaptations de Peter Pan (par Disney, Spielberg, etc.) vous ont-elles influencé pour écrire le scénario de Wendy ?

Pour écrire le scénario avec ma sœur Eliza, nous nous sommes concentrés beaucoup plus sur des inspirations personnelles et sur les versions antérieures de l’histoire de Peter Pan. Pourquoi ce personnage et ce mythe ont-ils traversé tant de générations ? Quelles sont les questions universelles auxquelles les personnes essaient de répondre en les répétant sans cesse à travers la même histoire ? Certaines histoires sont adaptées à de nombreuses reprises car les thèmes ou un personnage touchent un sujet universel. Et le personnage de Peter Pan nous a obsédé toute notre vie, comme pour beaucoup de gens. Nous avions l’impression qu’aucune version n’avait vraiment répondu à ces questions. Pour répondre plus clairement sur nos influences, nous regardions enfants la VHS que nous avions dans notre maison, qui correspondait à la comédie musicale de Mary Martin, datant de 1954. Cette version est géniale.

Faire de Wendy le personnage central de cette histoire permettait-il de réactualiser une héroïne moderne (qui n’est plus cantonnée comme chez Disney à être une femme d’intérieur) responsable de son destin et du sens de l’aventure ?

C’est Wendy qui nous a rappelé l’histoire des enfants à l’âge adulte, et c'est son récit qui nous a permis de comprendre ces questions fondamentales. Peter est un roc : il est coincé là où il est pour le meilleur ou pour le pire. Wendy est celle qui voyage dans l’extase de la jeunesse éternelle, mais qui doit ensuite partir et affronter la vie de l’autre côté. Au moment où nous avons décidé de faire ce film - nous venions juste de réaliser Les Bêtes du Sud sauvage d’une manière incroyablement utopique et idéaliste - nous étions encore nouveaux dans le milieu du cinéma. Nous devions faire face à d’immenses défis qui nous ont conduit dans une nouvelle ère. L’histoire de Wendy n’a jamais été exploitée parce qu’historiquement, elle est complètement rejetée, faible et impuissante. Nous voulions tirer cette Wendy vers le haut avec une nouvelle construction qui honore la force, la bravoure et la magie dans la féminité et la maternité.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de réaliser une histoire fantastique sans les artifices des effets numériques ?

Nous sommes toujours à la recherche de la magie naturelle qui existe dans le monde, par opposition à des éléments synthétisés par ordinateur. Cette recherche fait partie de la joie de faire des films, pour moi qui suis à la recherche de personnes et d’endroits qui changent votre conception du possible. Comme les enfants, nous trouvons cette magie partout. Nous savons que les plus grands miracles sont là, cachés sous un rocher, au plus profond de la forêt. Nous voulions faire un film qui célébrait le lien entre les enfants et la nature, qui est en voie de disparition dans ce monde de plus en plus numérique.

Qu’avez-vous le plus apprécié en travaillant d’une part avec des acteurs non professionnels, et d’autre part dans des lieux réels de tournage en dehors des studios ?

 


Faire un film de cette façon vous permet de vivre l’histoire que vous racontez. Toute ma vie, j’ai attendu que Peter Pan monte à ma fenêtre et m’invite au Pays Imaginaire, et il n’est jamais venu. Aussi, en tant qu’adulte, je devais aller le trouver. Et si vous savez quelque chose sur Peter et les Enfants Perdus, vous savez qu’ils ne vivent probablement pas à New York ou à Los Angeles et ils ne vont certainement pas se présenter pour une audition de film. Ainsi, une partie du processus, et une partie de l’aventure, consistait à partir dans le monde trouver des personnes et des lieux qui pouvaient m’inspirer cette fiction.

 

Quel est votre secret pour travailler avec des enfants sur un tournage ?

Il y en a plusieurs. L’essentiel est pour moi de pouvoir passer beaucoup de temps avec les enfants avant de tourner le film. J’ai rencontré les enfants qui jouent dans le film alors qu’ils avaient cinq ou six ans. J’ai passé environ deux ans à développer leurs personnages, leurs compétences et à développer une confiance avec eux pour que, lorsque nous serions devant la caméra, nous soyons égaux. Les enfants sont si souvent traités comme des sous-adultes ! Alors qu’ils sont plus intelligents, plus réalistes, plus intuitifs que leurs homologues adultes. Je pense que ce respect leur permet de trouver un niveau de performance qu’ils n’auraient pas normalement.

Quels sont les films qui vous ont le plus marqués durant votre enfance ?

Ils sont nombreux ! Il y en a quelques-uns que j’ai apprécié voir à plusieurs reprises : The Princess Bride, Willow et L’Histoire sans fin. Je suis aussi un grand fan d’E.T. que j’aime de plus en plus en vieillissant.

Selon vous, l’âme de l’enfance peut-elle réenchanter notre monde contemporain, et notamment celui de la crise de la pandémie ?

Les enfants connaissent la valeur de la liberté. En tant qu’adultes, nous ne cessons de faire des compromis, de modérer nos pulsions, et cette retenue n’a jamais été aussi extrême que ces dernières années où notre monde a été rétréci à l’intérieur de nos écrans. J’espère qu’au fur et à mesure que nous émergerons, nous pourrons faire disparaître ces dépendances numériques afin de revenir à une vie où l’exploration et la curiosité pour le monde réel sont autant valorisées que le confort et la sécurité.

À quel public se destine Wendy ? L’avez-vous réalisé en pensant aux jeunes spectateurs ?

J’ai toujours espéré que Wendy pouvait être vu par tous les publics, sans limite d’âge. Les questions qui y sont traitées sont universelles, et si le langage du film est parfois expressionniste et poétique, il est porté par des émotions puissantes et simples que tout le monde peut comprendre. Je pense qu’il y a beaucoup à dire aux enfants qui doivent grandir et se confronter à l’inconnu de leur avenir, ainsi qu’aux adultes qui regardent en arrière et s’attardent sur ce qu’ils ont perdu.

Rédigée par Cédric Lépine