ENTRETIENS

Léo, la fabuleuse histoire de Léonard de Vinci : entretien avec Pierre-Luc Granjon

Rédigée par Benshi

Ce mercredi 31 janvier voit l'arrivée au cinéma d'un coup de cœur Benshi qui vous fera voyager au temps de la Renaissance : Léo, la fabuleuse histoire de Léonard de Vinci, réalisé par Jim Capobianco et Pierre-Luc Granjon ! Découvrez la vie de l'un des plus grands visionnaires, qui a marqué l'histoire en étant à la fois inventeur, artiste et touche-à-tout de génie. Présenté à la dernière édition du Festival d'Annecy, le film associe la plume de Jim Capobianco (à droite), l'une des têtes pensantes de Ratatouille, aux marionnettes de Pierre-Luc Granjon (à gauche), afin d'émerveiller petits et grands. 

 

Pierre-Luc Granjon est illustrateur, scénariste (Neige, 2015) et réalisateur de films d'animation français, dont Petite Escapade (2001) et Les Quatre Saisons de Léon (2012). Sa technique de prédilection est l'animation en volume, communément désignée par le terme anglais « stop-motion », qui consiste à mettre en mouvement des objets image après image. Benshi a eu le plaisir de le rencontrer, afin d'échanger sur cette collaboration internationale.

Pouvez-vous préciser votre place dans ce film en tant que coréalisateur ? Est-ce que votre regard français a compté dans une production américaine pointant son regard sur l'histoire de France ?

J'ai, avant tout, été appelé sur le film par Jim Capobianco pour m'occuper de la stop-motion. Lorsque je suis arrivé sur le projet, le scénario était déjà écrit par Jim, j’ai seulement fait quelques retours. Quant à la réalité historique, Jim s'était déjà beaucoup renseigné et il était venu sur les lieux comme le Château royal du Clos Lucé à Amboise. En outre, les informations qui apparaissent dans le scénario sont largement accessibles aussi. Nous étions par ailleurs conscients des libertés que nous prenions avec l'Histoire mais c'était là aussi un choix de fiction : nous n'avions pas l'intention de réaliser un documentaire historique. 

Jim Capobianco connaissait mon travail sur Les Quatre Saisons de Léon qu'il avait programmé lors d'un festival de films pour enfants à San Francisco. Ces films faisaient partie de ses références pour réaliser Léo, aux côtés des films de Jiří Trnka, Karel Zeman et d'autres cinéastes d'animation d'Europe de l’Est, ainsi que les films de Rankin & Bass.

Pourquoi Jim Capobianco a souhaité réaliser ce film en stop-motion plutôt qu'en animation 3D comme pour Ratatouille dont il était coscénariste ?

Parce qu'il aime l'artisanat, les activités réalisées avec les mains. Les armatures des marionnettes sont un véritable travail d'horloger : il s'agit d'un ouvrage d'une précision extrême où le serrage d'une petite vis permet de rendre, par exemple, un geste plus souple de la main de la marionnette. Cela avait du sens par rapport aux travaux de recherche sur les mécanismes de Léonard de Vinci, et ses études anatomiques. De même, le dessin fait à la main sur tablette graphique se connectait à ses dessins d'époque. Il devenait ainsi logique pour entrer dans son univers de faire le maximum de choses à la main dans la réalisation du film. Ce que j'aime dans la stop-motion, c'est que l'on peut faire vivre n'importe quoi. 

Pour le lion mécanique que Léonard de Vinci a réalisé, comme nous n'avons pas retrouvé traces des plans d'époque, nous étions libres de l'imaginer. Nous avons souhaité laisser l'armature apparente : cela nous plaisait de montrer comment il était fabriqué. Nous avions des envies communes avec Léonard de Vinci d'animer des choses qui ne bougent pas. Je pense qu'il aurait trouvé le cinéma d'animation particulièrement magique, avec ce principe de photos qui se suivent et qui créent la vie.

Après le Moyen-Âge des Quatre Saisons de Léon, qu'est-ce qui vous a inspiré dans la Renaissance de Léo ?

Je ne suis pas historien mais, pour Jim et moi, la Renaissance est à l'image de Léonard de Vinci avec sa soif insatiable de connaissances. Cette curiosité est formidable, mais en même temps elle est vouée à l'échec parce que l'on ne peut pas tout apprendre. Ainsi, le drame du personnage est de se retrouver à la fin de sa vie et de se rendre compte qu'il a encore tant de choses à apprendre, étudier et découvrir. Pour moi, la Renaissance représente ce moment où plusieurs personnes cessent de croire bêtement ce que dit la religion pour commencer à essayer de comprendre les choses de manière plus concrète.

Est-ce que pour vous, Léonard de Vinci, à la fois artiste et scientifique, reflétait aussi ce qui est au cœur de l'animation : le savoir technique conjugué à la créativité artistique ?

Pour son époque, il était très naturel que les scientifiques fréquentent les ateliers d'artistes et vice et versa. Les artistes apprenaient ainsi à la fois la peinture, l'architecture, etc. Je ne pense pas qu'en ce sens Léonard de Vinci soit complètement unique en son genre. En revanche, il était unique par le nombre de sujets auxquels il s'intéressait. La science et l'art étaient moins séparés que de nos jours, du moins c'est mon impression.

 Quant au tournage du film, il a en effet mobilisé beaucoup de savoir-faire avec par exemple des peintres qui associent plusieurs couleurs et matériaux pour arriver à une patine spécifique, les costumiers et costumières, les animateurs… la liste serait trop longue. Côté construction, nous avons bénéficié des plans précis du Château d'Amboise tel qu'il était à l'époque et l’équipe décors s’est chargée de le reconstituer.

L'histoire tourne en ridicule tous ces hommes de pouvoir (Henri VIII, Charles V, François Ier et le Pape) qui sont des adultes puérils qui ne cessent de se faire la guerre pour s'imposer face aux autres, alors que l'humanité ne va de l'avant que grâce à l'association entre l'esprit éclairé d'une femme et celui d'un artiste-scientifique.

Nous souhaitions en effet que les femmes aient un vrai rôle et d’ailleurs, dans l'équipe du film, il y avait plus de femmes que d'hommes avec la cheffe opératrice, la cheffe animatrice, la cheffe décoratrice, etc. Dans ce que nous racontions, nous souhaitions que Marguerite soit la voix la plus juste, la plus sage, par rapport à François Ier qui, pour faire référence à une réplique du film, ne peut voir les choses que lorsqu'on lui montre les choses. Pour Marguerite, cela n'a pas de sens de gouverner un pays à travers l'apparat. Je n'aime pas les généralités, mais je pense que si le monde était un peu plus dirigé par les femmes, il se porterait mieux, même s'il y a certaines femmes, bien entendu, que nous n'aimerions pas voir au pouvoir.

Choisir de raconter la fin de sa vie, est-ce dès lors se confronter à une accélération du temps alors qu'il reste tant à découvrir ?

En effet, surtout lorsque Léonard de Vinci découvre que François Ier n'est pas le roi qu'il espérait. Dans le film, il doit à nouveau se cacher pour mener à bien ses recherches. Il réalise aussi qu'il n’a lui-même encore rien fini concrètement. Il était d'ailleurs réputé pour cela. Beaucoup de peintures sont ainsi restées sous forme de croquis. En revanche, on ne peut qu'être admiratif du nombre de sujets qu'il a explorés. Ainsi, il a cherché à savoir comment l'eau et les nuages bougent, il a inventé des armes de guerre comme cela est évoqué dans le film, il a fabriqué des mécanismes utilisant le ressort, il a réellement disséqué une trentaine de corps pour tenter de comprendre leur fonctionnement. Ce qui m'épate chez Léo, c'est cette curiosité insatiable dans tous les domaines de la vie.

Nous n'avons pas la preuve qu'il ait pu rencontrer Marguerite de Navarre, qui d'ailleurs à ce moment-là ne s'appelait pas encore ainsi, mais Jim a souhaité les faire se rencontrer. C'est vrai que ce personnage est étonnant lui aussi, par son besoin de ne pas entrer dans le moule prédéfini et imposé aux femmes à cette époque. Si les deux s'étaient réellement rencontrés et qui sait, c’est peut-être le cas, Léo aurait très bien pu voir en elle une héritière. D'ailleurs, le film se termine avec l'espoir placé en elle pour les générations futures. 

Rédigée par Benshi