ENTRETIENS

Le Petit Nicolas : entretien avec Amandine Fredon et Benjamin Massoubre

Rédigée par Benshi

Benshi a eu l’honneur de rencontrer pendant le Festival International du film d’animation d’Annecy en juin 2022 les réalisateurs du long métrage Le Petit Nicolas, qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?, lauréat du Cristal du long métrage !

Amandine Fredon, est spécialisée dans la réalisation de séries pour la télévision, et plus particulièrement dans les adaptations de livres à l’écran (comme la série Ariol). Le Petit Nicolas est son premier long métrage.

Benjamin Massoubre a principalement travaillé comme monteur, sur des films comme Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary, Tout en haut du monde, J’ai perdu mon corps, ou plus récemment Le Sommet des dieux. Le Petit Nicolas est sa première réalisation.

Comment est né le projet du film ?

Au départ, nous avions le projet de mélanger des images d’archives avec des séquences du Petit Nicolas en animation, mais nous nous sommes rendu compte que les images n’étaient pas de bonne qualité. Anne Gosciny, la fille de René Goscinny qui a travaillé sur le scénario du film, a proposé de le réaliser entièrement en animation, ce qui était une bonne idée car ça rendait aussi hommage aux auteurs, c’était cohérent. Il fallait donc inventer Sempé et Goscinny en personnages de dessin animé, ce qui n’était pas évident et nous a mis un peu de pression !

Nous nous sommes basés sur leur histoire d’amitié pour aller chercher une construction dramatique et émotionnelle. Mêler le Petit Nicolas au monde des auteurs nous a permis d’avoir ce trio assez émouvant tout au long du film. On aimait l’idée que le petit Nicolas apparaisse de façon magique sur le bureau des auteurs, les questionne directement avec son point de vue d’enfant. C’était génial d’avoir ce personnage plus petit qui se balade sur le décor gigantesque à côté, ce rapport d’échelle a été très intéressant d’un point de vue de mise en scène. On aimait le fait qu’il fasse des bêtises, comme des tâches d’encre…

A la lecture des 222 nouvelles, on constatait que la plupart du temps, Nicolas, qui est le narrateur à la 1ère personne, se retrouve aussi spectateur des récits. Il décrit souvent les autres qui ont des caractères très marqués : Alceste, Agnan, tous très caractérisés. Le Petit Nicolas a un ton, une curiosité, et un rapport rigolo au monde qui est fascinant mais le personnage est peut-être moins évident à cerner. L’avoir dans les scènes avec les auteurs nous a permis de lui donner plus de notoriété et de caractère, de le voir réagir, car il est actif et intervient dans le déroulement de l’histoire.

On sent dans votre travail que vous avez voulu être très proche et fidèle de l’univers des auteurs. Comment avez-vous abordé cette adaptation des nouvelles du Petit Nicolas ?

Dès le début, nous avons voulu réaliser un film familial, un film qui puisse s’adresser à tout le monde. Tout l’enjeu était de ne pas tomber dans la décalcomanie ou la copie, mais de rendre hommage au travail des auteurs. Il faut beaucoup de sincérité quand on se lance dans la réalisation et l’adaptation d’une œuvre de patrimoine comme celle du Le Petit Nicolas. Nous avons dû convaincre des partenaires car les procès d’intention étaient courants : d’autres œuvres avaient été faites autour du Petit Nicolas, pas toujours réussies. Nous voulions que notre film transpire l’amour - qui est réel - que nous avons pour Le Petit Nicolas et l’œuvre de Sempé et de Goscinny.

Benjamin :  Mon grand-père l’a lu à mon père, mon père me l’a lu à son tour et je le lis à mes enfants aujourd’hui. Il y a un vrai respect derrière notre démarche et j’espère que ce respect se ressent lorsqu’on voit le film. 

Il n’y a pas d’arc narratif fort dans le film, qui peut s’apparenter à un film à sketchs. Dès le début, nous avons voulu représenter un chemin de pensée artistique, une arche émotionnelle autour des auteurs. Le film raconte une histoire de résilience : Sempé et Goscinny se sont fait voler leur enfance, l’un par la Shoa l’autre par un beau-père abusif. Ils ont créé ce petit Nicolas fantasmé, cette enfance magique, peut-être pour compenser des choses qui leur ont été volées. Ils ont transformé leur traumatisme en comédie, en poésie, en une œuvre solaire. Le sous-titre du film, Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux, est venu au fur et à mesure de la fabrication et nous semblait cohérent par rapport à l’histoire que l’on racontait. Nous nous sommes servis des histoires de vie et des épreuves que Sempé et Goscinny ont vécues pour les transformer en une force positive. Nous avions envie que les gens sortent de leur séance avec le sourire. Il y a beaucoup d’émotions dans le film, qui aborde des sujets forts et parfois dur, mais on rebondit à chaque fois grâce à des moments positifs et joyeux, et à un discours à hauteur d’enfant, puisque les auteurs s’adressent eux-mêmes au Petit Nicolas dans le film.

   

Comment avez-vous travaillé la mise en scène des auteurs ? Était-ce une évidence de les présenter comme héros du film dès le début ?

Puisque nous sommes partis sur un film entièrement réalisé en animation, les auteurs ont pris une place assez importante. Nous avons lu toutes leurs interviews. On ne connaissait pas forcément leur enfance ni leur vie : René Goscinny a passé son enfance en Argentine, Jean-Jacques Sempé a trimé avant de réussir à faire son métier, qu’il aime, alors qu’il a toujours dessiné. C’était important pour nous de restituer leur histoire dans le film, et d’ailleurs une grosse partie de l’adaptation a été faite avec Anne Goscinny.

Ça nous semblait intéressant d’aller puiser les côtés épiques dans la vie des deux auteurs, ce n’était pas uniquement pour réaliser un film grand public. Quand on pense à Goscinny, on pense au Franchouillard, au bon vivant, alors que ce n’était pas du tout l’homme qu’il était. C’est un globe-trotteur qui a vécu à travers le monde. Concernant Sempé, nous avons beaucoup travaillé sur son rapport à la musique, et la musicalité de son travail. Il fait sans cesse référence dans ses interviews à Debussy, Duke Ellington, Django Rainart.

La vie des auteurs a nourri leur travail sur Le Petit Nicolas. Par exemple, quand dans le film il est question de l’école du Petit Nicolas, Goscinny demande à Sempé : « tu vas la dessiner comment ton école ? », et il répond « oh je ne vais pas m’embêter, je vais faire l’école que je connais à Bordeaux », et il part dans ses souvenirs. C’était intéressant de découvrir les liens entre ce qu’ils ont vécu et leur création pour Le Petit Nicolas.

Il y a un aspect documentaire dans le film, est-ce que vous le percevez aussi comme ça ?

Il y a un peu cette dimension, même si les images que l’on crée sont des fictions : Sempé n’est pas arrivé à Paris en dansant comme ça (rires), c’est une image fantasmée. Mais les informations sont justes et 95% des mots prononcés par les voix off sont soit des textes de Sempé et de Goscinny ou issus d’interviews, soit issus de textes qu’ils ont publiés. On est restés très fidèles à leur langue. Que ça soit celle de René à l’intérieur des histoires du Petit Nicolas ou dans les flashbacks, ce sont souvent les mots qu’ils ont utilisés pour décrire des situations.

Pouvez-vous nous parler du travail de recherche qu’a nécessité la réalisation du film ?

Anne Goscinny a co-écrit le scénario et a été présente tout au long du film. Cette collaboration a été une vraie force, puisque nous avions besoin de détails et d’informations. Nous avons eu accès à des photos de famille qu’on n’aurait pas pu trouver ailleurs, au bureau de Goscinny, à ses objets, etc. Il avait une petite cocotte en papier, qui lui avait été donné par l’auteur Gotlib, que l’on a fait apparaître dans le film même si on ne connaissait pas toute l’histoire. C’était très touchant de pouvoir être dans le bureau de Goscinny : on a pu s’asseoir dans son fauteuil, taper à sa machine à écrire, voir des manuscrits originaux… Nous avons aussi eu la chance de pouvoir échanger avec Jean-Jacques Sempé sur toute la préproduction, de mettre en place les designs et les décors avec lui.

 
Jean-Jacques Sempé a-t-il vu le film ?

Il l’a vu par morceaux. Nous étions émus surtout quand il a regardé la scène finale avec Jean-Jacques et René : ce qui a été un déclic. Anne nous a donné des éléments pour mieux comprendre son père et Jean-Jacques. Elle nous a fait lire la lettre que Jean-Jacques Sempé avait écrite à sa mère à la mort de René. Cette lettre magnifique et pleine d’émotion a donné la séquence finale de la brasserie. Avant ce film, peu de gens avait connaissance de ce moment qui était resté dans l’intimité de Gosciny et de Anne.

Nous nous sommes servis de l’émotion qui se dégage de la lettre pour la retranscrire dans le film. Elle nous a aidé dans notre travail avec Alain Chabat et Laurent Lafitte, pour les faire rentrer dans l’esprit des personnages.

Comment avez-vous choisi les acteurs pour les voix ?

J’ai dès le début dit à notre producteur : je pense à Alain Chabat pour René Goscinny et Laurent Lafitte pour Sempé, ce serait parfait. Mais je disais ça sans trop y croire, presque en bluffant même si j’avais très envie que ce soit eux, ils étaient parfaits pour incarner ces rôles. Alain, parce qu’il a une filiation directe avec Goscinny dans son univers et je pense qu’il peut représenter une incarnation moderne de Goscinny, que ce soit dans son travail ou dans son rapport avec le public. Il crée l’empathie pour un personnage. J’adore aussi Laurent car il est très à l’aise dans plein de registres, dans les comédies, au théâtre. Ils n’avaient jamais travaillé ensemble, ils étaient contents et ont été adorables, ils ont joué le jeu. On a réussi à les avoir tous les deux, on est partis dans le sud de la France. D’habitude, les acteurs au planning très chargé procèdent à des enregistrements séparés. Dans notre cas, ils étaient tous les deux en studio, et il y avait un super équilibre, une super ambiance. Ils étaient disponibles et très motivés. Alain est un fan absolu de Goscinny donc il avait aussi à cœur de retranscrire tout l’amour qu’il a pour lui. Il est collectionneur, c’est un fou de Goscinny. Laurent aime aussi beaucoup Sempé (je ne le savais pas avant !). La lettre les a beaucoup aidés à rentrer dans le rôle.

Les voix ont-elles été enregistrées avant le travail d’animation ?

On enregistre les voix avant de faire l’animation. Sur l’animatics (dessin plan par plan sur une vidéo), sur laquelle on met des voix témoins, puis on enregistre les voix. Ça laisse la liberté aux acteurs et aux comédiens d’interpréter leur personnage. S’ils font des phrases plus longues ou plus courtes, ça ne nous pose aucun problème. Ça donne quelque chose de très naturel, et c’est génial de pouvoir travailler comme ça. On a beaucoup modifié des petits tics de langage avec eux, des petites impros qu’on a gardées telle quelle. On leur a laissé pas mal de liberté, même si le film était très écrit.

Simon Faliu, qui prête sa voix au petit Nicolas, a effectué un travail monumental. Les voix n’étaient pas évidentes car il y a pas mal de textes de Goscinny qu’on a gardé tels quels, et il a réussi à jouer toutes les émotions, il était incroyable ! Il chante, il danse… Il vient d’une famille de comédiens de doublage. Il a 13 ans et il est très à l’aise, il s’amuse et arrivait sur le plateau hyper relâché. Il prend un plaisir communicatif à travailler.

Surtout que le Petit Nicolas n’a pas la même façon de parler que les enfants d’aujourd’hui, cela devait représenter un défi pour Simon.

Il fallait trouver du naturel dans un niveau de langage assez élevé. Simon a fait un super travail. Notre combat dès le début était d’avoir de vrais enfants pour les rôles car habituellement, on fait jouer des femmes pour les voix d’enfants. Nous admirions beaucoup le travail sur les voix dans le film Ma Vie de courgette. Les enfants étaient incroyables, les voix d’Alceste, Agnan de Geoffroy avec son petit air pincé, ce n’est pas évident à faire. On s’est éclaté dans la direction des comédiens pour les voix.

Combien de temps avez-vous mis pour faire le film ?

Deux ans de fabrication, pour le storyboard, la réécriture… Le projet est allé relativement vite. On a eu la chance d’avoir une équipe très solide qui s’est engagée dans le film avec beaucoup d’entrain. L’équipe avait aussi cette passion et l’envie de travailler autour du Petit Nicolas. Sempé et Goscinny sont toujours aussi fédérateurs 60 années après…

Quels films ont marqué votre enfance ?

Amandine : J’ai surtout découvert le cinéma et l’animation adolescente, et j’ai été bluffée par Akira et Ghost in the shell, qui m’ont marquée, la culture japonaise étant si différente de la nôtre. Autant pour l’image, que la qualité de l’animation et la musique très spéciale.

Benjamin : j’ai un souvenir mémorable tout petit de L’Histoire sans fin, et de ses scènes dans un monde complètement imaginaire, comme la scène du cheval dans la boue. J’ai des souvenirs très intenses. Je citerais aussi le Robin des bois de Disney : c’est le premier film que j’ai vu au cinéma. Je me souviens des chansons, et encore aujourd’hui, je le revois avec beaucoup de plaisir avec les enfants.

Rédigée par Benshi